L’avis du « Monde » – à voir

C’est un bonsaï, ou une maison de poupée. Un film délibérément plus exigu que ce qu’exigeraient son contenu (une histoire d’amour triangulaire qui court sur dix ans) et son histoire (fruit de la rencontre entre son auteur-interprète, héritier d’une illustre dynastie cinématographique, et son vénérable scénariste, qui a voyagé dans tout le cinéma depuis des décennies). En une heure et quart, Louis Garrel et Jean-Claude Carrière font miroiter les possibilités infinies de leur scénario pendant que le réalisateur trempe un doigt de pied dans tous les fleuves que son expérience et sa cinéphilie lui ont fait traverser, des classiques hollywoodiens aux jeunes Parisiens (le film commence par un plan sur la tour Eiffel qui aurait trouvé sa place dans le Dans Paris, de Christophe Honoré) en passant par la Nouvelle Vague.

L’expérience produit un mélange de plaisir et d’agacement, à moins d’avoir la force d’âme nécessaire pour attendre le prochain film de Louis Garrel, histoire de vérifier le sérieux des clins d’œil et des promesses esquissées. Auquel cas, il ne reste que le plaisir.

A peine évanouie la carte postale évoquée plus haut, L’Homme fidèle commence par un réarrangement radical d’une figure fondamentale du cinéma français : la scène de rupture. Dans le couloir d’un appartement post-haussmannien, Marianne (Laetitia Casta) annonce à Abel (Louis Garrel) qu’elle est enceinte. Mais pas de lui. De son meilleur ami, Paul. Avec qui elle va se marier. Dans dix jours. Abel subit ce passage à tabac comme d’autres se prennent des tartes à la crème. Lui manque le maquillage du clown, et son impassibilité ne convainc pas tout à fait.

Charmant punching-ball

Une petite dizaine d’années plus tard, Paul meurt, dans son sommeil. Abel profite de ses funérailles pour renouer avec Marianne, qui ne se fait pas trop prier. Avec le défunt, elle a eu un fils, Joseph (Joseph Engel), un enfant au regard aussi clair qu’insondable qui affirme à Abel que sa mère a tué son père. Depuis le début du film (qui n’est pas si ancien que ça, on en est à peine au premier quart d’heure), une très jeune fille traîne dans les pourtours du cadre. Elle a désormais les traits de Lily-Rose Depp. Sœur du défunt Paul, Eve a toujours été amoureuse d’Abel et supporte mal, maintenant qu’elle est en âge de le séduire, de le voir retomber dans les bras de Marianne.

Louis Garrel (Abel) et Lily-Rose Depp (Eve) dans « L’Homme fidèle », de Louis Garrel. / SHANNA BESSON / WHY NOT / AD VITAM

Charmant punching-ball, notre héros oscille sous les coups de la suspicion enfantine de Joseph, de la libido dévorante d’Eve, de l’autorité inquiétante de Marianne. La mise en scène ultra-cursive de Louis Garrel ne laisse pas beaucoup de temps à la réflexion, sur le moment. Elle est assez énergique pour faire naître un léger malaise, qui infléchit la nature du film. Ce qui semblait relever à première vue du divertissement bien parisien, nourri de références cinéphiles (les voix off à la Truffaut, Casta filmée comme une héroïne hitchcockienne), se mue par moments en affrontement tragique.

Ce qui semblait relever à première vue du divertissement bien parisien, nourri de références cinéphiles, se mue par moments en affrontement tragique

Joseph, l’enfant à la parole dévastatrice, est le cousin d’un autre petit garçon issu de l’imagination de Jean-Claude Carrière, celui de Birth. Comme dans le film de Jonathan Glazer (2004, avec Nicole Kidman), il bouleverse les certitudes des adultes. Mais, là où le metteur en scène britannique mettait en mouvement une catastrophe qui engloutissait les personnages, le Français se contente d’esquisser des hypothèses : Marianne est-elle une divinité qui exige des sacrifices ou une femme qui apprend à surmonter son égoïsme ? Eve est-elle un charmant succube qui se débarrasse de ses proies ou une adolescente qui fait l’apprentissage des amours adultes ?

Dans ce petit recueil d’énigmes amoureuses, on est guidé par les actrices. Laetitia Casta fait preuve d’une autorité qu’on lui a rarement vue, Lily-Rose Depp d’une versatilité et d’un sens comique inédits. Entre les deux, le cœur ballant, Louis Garrel s’est donné une place de victime très enviable.

L'HOMME FIDELE de Louis Garrel - Bande-annonce - le 26 décembre au cinéma
Durée : 01:24

« L’Homme fidèle », film français de et avec Louis Garrel. Avec Laetitia Casta, Lily-Rose Depp, Joseph Engel (1 h 14). Sur le Web : www.advitamdistribution.com/films/lhomme-fidele et www.whynotproductions.fr/film3.php?id=177