Avec ses 200 millions de joueurs, Fortnite Battle Royale a été le phénomène incontestable du jeu vidéo en 2018. Pour y arriver, il a perfectionné un principe simple : celui de larguer cent joueurs armés sur une île, au cœur d’une zone qui n’en finit pas de rétrécir. Le but y est d’être le seul debout à la fin de la partie.

Dans une sorte d’hommage, l’équipe de Pixels s’est amusée à reprendre ces règles du jeu, dites du « battle royal », pour définir quel titre, parmi une sélection de cent jeux vidéo sortis en 2018, méritait le titre de meilleur jeu de l’année. Vous pourrez aussi en retrouver certaines chroniques plus classiques dans notre rubrique jeux vidéo.

Dans « Fortnite Battle Royale », chaque partie commence par le parachutage de cent concurrents. / Epic Games

Ouverture des hostilités

Go ! Les cent candidats sont parachutés au-dessus de l’île du Pixels Battle Royale. Red Dead Redemption II et son cheval, qui sont favoris, atterrissent tranquillement dans une prairie herbeuse, tandis qu’Assassin’s Creed Odyssey tombe sur une bonne vieille meute de foin qui amortit sa chute. Le choc est en revanche fatal pour les géants de pierre usés du remake de Shadow of the Colossus ou le robot quadra un peu rouillé de Megaman 11.

95e place pour « Donut County », jeu où l’on incarne un trou qui veut engloutir Los Angeles. / Ben Esposito

Alors que les différents parachutés se ruent où ils peuvent, à la recherche d’un abri ou d’un argument rare, le Vent de l’Indifférence se lève d’un seul coup sur la carte, et évacue, d’une bourrasque impitoyable, une dizaine de petits candidats mal abrités. Adieu, entre autres, GRIS, Forgotten Anne et Tiny & Tall : Gleipnir, petits anges partis trop vite. D’autres s’autoéliminent bêtement, comme le jeu de gobage Donut County, qui s’étouffe sur sa pâtisserie.

D’autres prétendants plus solides s’avancent, vaillants, déterminés. Ils savent qu’ils méritent tous, à leur façon, d’approcher le top 1. Below, Pillars of Eternity II, RimWorld, The Bard’s Tale IV : ils sont taillés pour la victoire. Et tous, sans exception, se font immédiatement faucher par une rafale impitoyable tirée par un impitoyable Red Dead Redemption II, jeu si chronophage qu’il n’aura pas laissé le temps à la rédaction de Pixels pour tester suffisamment ces rivaux potentiels.

Pendant ce temps, au centre de l’île, de célèbres cadors tentent de faire la loi. Deux papys du jeu de tir se toisent ainsi dans un duel mexicain, Call of Duty : Black Ops IIII et Battlefield V. Las, ils se tirent mutuellement une cartouche dans le pif et s’entre-éliminent sous l’œil hilare de Fortnite, qui les observait depuis une estrade d’appoint construite pour l’occasion. « La jeunesse ne respecte plus rien », grommellent les deux jeux kaputs devant l’autre grand favori à la victoire finale.

Oui, il y a « Ultra Space Battle Brawl », un kitschissime Pong-like indonésien, dans ce top 100. Deal with it. / Mojiken Studio

Un peu plus loin, les balles sifflent aux oreilles d’Eco, Slay the Spire et Spy Party. Sans demander leur reste, ces jeux en accès anticipé sautent sur un canoë et prennent la fuite pour revenir tenter leur chance en 2019. C’est la débandade.

Partout, ça s’entre-tue, à l’image de l’étonnant jeu de flipper en monde ouvert Yoku’s Island Express, dont la bouboule aventurière s’écrase le nez contre les raquettes du kitschissime Pong indonésien Ultra Space Battle Brawl, qui se prend par-derrière une manchette du jeu de combat à l’esthétique Game Boy Pocket Fighters, qui se fait rouler dessus par le très british jeu d’exploration automobile Forza Horizon 4.

Le fascinant « The Red Strings Club » échoue aux portes du top 40. / Deconstructeam

Pendant ce temps, le surpuissant jeu d’action God of War, vainqueur des Game Awards début décembre, frappe, lui, au sol en hurlant « boy » d’une voix rageuse, provoquant un glissement de terrain qui emporte plusieurs candidats, dont la malheureuse aventure The Red Strings Club, cérébrale et cyberpunk, qui pouvait pourtant rêver de top 10. Pas de souci en revanche pour Dragon Ball FighterZ, qui pose ses deux doigts sur le front pour se téléporter tranquillement dans une zone en sécurité ; Fallout 76, lui, s’abrite sans problème dans un abri atomique de fortune ; de son côté, le Nintendo Labo fait du deltaplane en carton, loin de la mêlée.

Dans l’adorable et ingénieux « Nintendo Labo », le joueur construit sa manette avec des bouts de carton. / Nintendo

Le cœur de la bataille

Mais la bataille a à peine commencé que déjà, nous entrons dans la deuxième phase de jeu. L’arène se réduit, inexorablement, cruellement même, emportant quelques-uns des plus solides candidats dans ses abîmes. Dommage pour le touchant 11-11 : Memories Retold, le jeu de tir façon années 1990, Dusk, le délirant Chuchel ou encore l’adorable jeu de cartes Meteorfall. Ils ne sont déjà plus que quarante en lice.

Alors que le jeu de cuisine à plusieurs Overcooked 2 et le raout de pop culture Super Smash Bros. Ultimate s’échangent des coups de poêle dans le chaos le plus total, l’île se met à trembler. Un phare géant s’élève au milieu et s’allume : c’est le « Rayon Laser Anti-Jeux Trop Longs ».

Comme nombre de très bon titres, le charmant jeu de rôle à l’ancienne « Octopath Traveller » s’est fait scalpé par le Rayon Laser Anti-Jeux Trop Longs. / Square Enix

Sans sommation, il pulvérise en vrac Octopath Traveller, jeu de rôle à l’ancienne trop bavard ; The Messenger, aventure rétro jubilatoire, mais interminable ; et Assassin’s Creed Odyssey, dont la sublime Grèce commence à virer au remplissage forcé passé la trentaine d’heures. Inarrêtable, le surpuissant Rayon laser Anti-Jeux Trop Longs scalpe également le grisant mais répétitif Marvel’s Spider-Man ainsi que We Happy Few : cette relecture pop et hallucinée de 1984 est souvent passionnante, mais aurait dû s’arrêter après son acte 1.

En revanche, Red Dead Redemption II s’en sort miraculeusement en dégainant un badge de shérif réfléchissant sur lequel il est écrit « Désolé gringo, je ne suis pas long ; je suis lent et contemplatif, nuance ». Le concentré de nostalgie Bloodstained : Curse of the Moon, lui, ne se fait même pas effleurer, mais dans sa fuite, il se fait ratatiner par l’habile et bondissant Celeste, le jeu de plate-forme chouchou des amateurs de jeu indé. Fornite, Dragon Ball FighterZ et Deltarune, eux, continuent à se faufiler sans encombre.

Pendant ce temps, les versions Switch de Diablo III, Towerfall et Civilization VI croyaient bon de se tapir aux toilettes. Mais tombée d’on ne sait où, l’intraitable Grenade Anti-Portage a raison de ces versions 2018 de jeux en réalité bien plus anciens. Super Smash Bros Ultimate l’évite de peu en faisant une esquive latérale, mais tombe tout seul de sa plate-forme en reculant. L’accident bête.

« Super Smash Bros. Ultimate », jeu de combat fourre-tout dégoulinant de cadeaux, a mis un pied en dehors du ring. Comme ça, sans raison. L’accident bête. / Hal Laboratory/ Bandai Namco

Pilonnage intensif

« God of War », désigné meilleur jeu de l’année par les Game Awards, ne finira pas top 1. / SIE Santa Monica Studio

Ils ne sont désormais plus que vingt. Tandis que la Tempête de la Hype se lève, des jeux mastodontes, méritants mais un peu trop lisses, peinent à trouver un abri à leur dimension. Detroit : Become Human n’y survit pas. God of War, malgré son quintal de muscles, s’envole vers les cieux, avant de s’écraser un peu mollement au loin. C’est un miracle si Fallout 76 est arrivé jusque-là : si le fascinant simulateur de randonnée post-apo a réussi à trouver une planque in extremis, c’est la Bourrasque du Bad Buzz qui emporte finalement ce jeu dévoré par les bugs.

La bataille fait aussi rage sur la mer. Depuis le large, l’immersif et aquatique Subnautica sort l’artillerie lourde, et entreprend de pilonner consciencieusement tout ce qui porte voile. Le jeu d’exploration cartographique Neo Atlas 1469 est envoyé par le fond. Même l’innocent FAR : Lone Sails, qui ne navigue pourtant pas dans les mêmes eaux, se prend un obus de plusieurs tonnes. Le jeu d’enquête en mer Return of the Obra Dinn rentre au port, sauvant sa peau de justesse.

Un autre duel, sur terre cette fois, oppose Red Dead Redemption II et Where the Water Tastes Like Wine. Deux cow-boy, deux expériences narratives, deux jeux qui parlent d’exode et d’une certaine idée du mythe américain : il y en a clairement un de trop dans cette ville. C’est le mastodonte Red Dead qui dégaine le premier : WTWTLW s’écroule dans la poussière, victime de sa fin laborieuse.

Plus loin, Minit et One Hour One Life se sont jetés à corps perdu dans un duel à mort. Qui l’emportera ? Minit, qui raconte en boucle la même histoire d’une minute, ou One Hour One Life, qui propose au contraire, une heure à la fois, de raconter le plus grand des récits, celui de la civilisation ? Trop occupés à jouer la montre, les deux ne voient pas la zone de jeu se réduire inexorablement, et ne tardent pas à disparaître dans le lointain.

« Captain Spitit », des auteurs de « Life is Strange 2 », est un des jeux les plus poétiques de l’année. Bon, mais ça, « Red Dead » s’en fiche. / Dontnod

Ils ne sont plus que dix en compétition. Comment certains sont-ils arrivés jusque-là ? Into the Breach, jeu de stratégie aux mécaniques simples et brillantes, avait jusqu’ici avancé ses pions en toute discrétion. Dandara, énième jeu d’action-exploration à la Metroid, a usé de sa capacité inédite et vertigineuse à se projeter de paroi en paroi. Il était au plafond depuis le début, personne ne l’avait remarqué. Idem de The Awesome Adventures of Captain Spirit, délicate tranche de vie familiale, pleine de poésie enfantine et de goût de chocolat chaud, que certains ont pris pour un simple spectateur. Red Dead Redemption II passe près d’eux, lève un sourcil, et les abat d’une balle chacun. Ce candidat est vraiment méchant.

Return of the Obra Dinn, lui, reste stoïque et immobile. Grâce à sa montre à remonter le temps il se téléporte au 26 décembre 2017 puis revient. « Dites donc, Monsieur Fortnite, vous n’étiez pas déjà présent dans le top Pixels de l’an passé, où vous aviez été éliminé en poule ? Il me semblait que le règlement interdit de participer deux années d’affilée ! », épingle-t-il en se frisant la moustache. Fortnite blêmit. Nintendo Labo en profite pour s’approcher et sortir un carton, qu’il colorie en rouge : expulsion. C’est le tournant de la partie. Fortnite, grand favori, ne sera pas vainqueur.

Surprise : « Fortnite » ne sera pas le jeu de l’année 2018 de Pixels. Il faut dire, à la réflexion, qu’il n’est pas sorti en 2018. / Epic Games

La quinte finale

Le suspense est insoutenable. Dans un nouveau face à face, Red Dead Redemption II se trouve désormais, Colt dégainé, face à Nintendo Labo, qui le tient en joue en retour avec une canne à pêche en carton. Le duel semble perdu d’avance pour la production bizarroïde de Nintendo, mais en tentant de pêcher un poisson, voilà qu’elle remonte accidentellement le jeu de survie aquatique en monde ouvert Subnautica, imposant navire de guerre vidéoludique qui retombe de tout son poids sur Red Dead. Lourdaud comme il est, le cow-boy n’a pas le temps d’esquisser un pas de côté. Crac ! Dans un ultime souffle, pour l’honneur malgré cette élimination inattendue, il troue Nintendo Labo d’une balle entre les deux plis.

Monumental mais pas exempt de défaut, « Red Dead Redemption II » échoue au pied du podium. / Rockstar Games

Ne restent plus, sur le champ de bataille, que Celeste, légèrement en retrait, Subnautica et Return of the Obra Dinn. Les deux splendides bâtiments se toisent. D’un côté, Subnautica, clone sous-marin de Minecraft devenu, au fil des mises à jour, l’un des jeux d’exploration les plus surprenants. De l’autre, Return of the Obra Dinn, sorte de Cluedo spatiotemporel, faussement rétro et réellement révolutionnaire.

La palme de l’immersion et du dépaysement vont à « Subnautica ». / Unknown Worlds Entertainment

Subnautica, c’est la démesure, une histoire à rallonge (presque un peu trop), un océan entier à découvrir, à apprivoiser, à contempler. C’est un monde avant d’être un jeu, et surtout, un monde inédit, avec ses failles volcaniques, ses plaines sous-marines, sa faune et sa flore extraordinaires. A l’inverse, Obra Dinn, c’est un monde minuscule, un simple bateau, avec ses ponts et ses bannettes. En revanche, tout ce qu’on y fait est inédit. Cette enquête autour d’instantanés figés, avec ces corps à identifier, ces coupables à désigner, en se basant sur sa seule sagacité, c’est une nouvelle grammaire vidéoludique qui s’écrit sous nos yeux.

Génial jeu d’enquête temporelle dans un bateau maudit et obsédant, « Obra Dinn » est le titre le plus novateur de l’année. / Lucas Pope

La bataille royale vire à la bataille navale. Obra Dinn, plus petit, plus maniable, fond sur sa proie et harponne le Subnautica. L’assaut est d’une violence insensée. Les canons tonnent, déchaînant leur fureur à bout portant. Des trous comme des plaies s’ouvrent dans les coques. Finalement, à l’issue d’un abordage terrible, c’est l’équipage de l’Obra Dinn, plus ingénieux, qui se retrouve seul maître à bord de l’épave qui fut un jour le Subnautica. Mais la victoire est de courte durée. Le bâtiment s’enfonce inexorablement dans les flots. Les remous font tanguer ce qu’il reste de l’Obra Dinn, qui gîte et, soudain, se renverse. L’équipage est à l’eau : bientôt, leurs derniers appels au secours se perdent dans un ultime glouglou.

Sur la côte, perché à flanc de falaise, Madeline observe la déconfiture. L’héroïne de Celeste, que tout le monde avait oublié, a traversé l’épreuve sans faire de vagues, à la seule force de sa prise en main pointilleuse, de ses niveaux ciselés, de ses dialogues délicats, de son imagination toujours renouvelée. C’est donc un jeu de plate-forme tout bête mais tout simplement parfait qui se hisse, l’air de rien, au sommet de ce Pixels Battle R…

Oh, mais voilà que soudain, traînant sa carcasse fracassée, Red Dead Redemption II ressurgit ! Il est là, rampant, tremblant, la lippe pleine d’écume. Péniblement, il se relève, tend un index fracturé rageur en direction de Celeste, maugrée « je t’aurais, John » (personne ne sait pourquoi il appelle Celeste « John »).

Puis, alors qu’il approche sa main égratignée de son Colt, son visage se fige une dernière fois. Les yeux injectés de sang, la bouche déformée par une dernière quinte de toux sanglante, la poitrine frappée d’une ultime convulsion, il s’arrête et s’effondre. Raide dead. Impavide, Celeste s’approche, ramasse son Colt, glisse à la place une innocente fraise. « Moi, c’est Madeline », murmure avec douceur la grande vainqueuse, avant de savourer son top 1, là-haut, toute seule sur la cime de 2018.

« Celeste », bijou de précision, de tendresse, de challenge et d’humanité, est ce qui se rapproche le plus d’un jeu parfait. Il raconte l’histoire d’une lutte contre soi-même, qui est dans le même temps une ascension : la sienne. / Matt Makes Games