Des soldats turcs près de Manbij, le 28 décembre. / KHALIL ASHAWI / REUTERS

Le retrait planifié des forces américaines du nord-est de la Syrie commence à produire ses premiers effets dans la ville de Manbij, proche la frontière avec la Turquie. Vendredi 28 décembre, les Unités de protection du peuple, la force kurde partenaire de la coalition internationale contre l’Etat islamique emmenée par Washington, ont appelé les forces du régime syrien à « se déployer dans les régions d’où nos troupes se sont retirées, particulièrement à Manbij, et à protéger ces régions contre l’invasion turque ».

Les zones du nord-est de la Syrie que les unités à dominante kurde regroupées au sein des Forces démocratiques syriennes (FDS) contrôlent sont en effet menacées par une offensive d’Ankara qui pourrait survenir une fois le retrait des Etats-Unis effectif. Chasser ces forces de Manbij est par ailleurs une priorité formulée de longue date par le président turc, Recep Tayyip Erdogan.

Peu après l’appel des forces kurdes, le porte-parole de l’armée syrienne a annoncé à la télévision que le drapeau syrien avait été hissé à Manbij, laissant entendre que les forces du régime de Damas étaient entrées dans la ville. Il n’en est cependant rien sur le terrain : les forces gouvernementales ne sont pas entrées dans la cité, où des militaires américains sont toujours présents et où leurs blindés ont patrouillé dans l’après-midi.

« La coalition n’a constaté aucun changement venant confirmer ses allégations. Nous appelons toutes les parties à respecter l’intégrité de Manbij et de ses citoyens », a affirmé la coalition dirigée par les Etats-Unis dans un court communiqué.

Déclarations « va-t-en guerre »

A l’ouest de Manbij, les forces du régime se sont toutefois renforcées au cours des derniers jours dans des localités rurales dont elles partagent le contrôle avec les Forces démocratiques syriennes (FDS) depuis deux ans. Et un début d’accord serait en négociation afin d’organiser le retour progressif du gouvernement syrien dans des zones contrôlées par les forces à dominante kurde. D’après des témoignages relevés par Le Monde, une délégation du régime serait entrée dans la ville de Manbij pour parlementer avec les autorités locales et des responsables des FDS confirment au Monde qu’ils sont prêts à se coopérer avec Damas au nom de la « défense du pays ».

« Les forces gouvernementales avancent en coordination avec les Unités de protection du peuple pour couper la route aux forces d’occupation turque, affirme Ibrahim Issa, une personnalité tribale arabe associée aux Kurdes au sein des FDS. L’armée turque se mobilise dans un contexte de déclarations va-t-en guerre et de menaces proférées par des dirigeants turcs à notre égard. Nous les prenons au sérieux. Le régime turc nous a déjà attaqués par le passé à Afrin. Et nous nous défendrons. Seuls ou en coopération avec les forces gouvernementales. »

En mars, l’armée turque et ses supplétifs syriens avaient pris le contrôle de la ville d’Afrin, dans l’enclave kurde du même nom, dans le nord-ouest de la Syrie, au terme de cinquante-huit jours de combats qui ont provoqué la fuite de 250 000 personnes.

De son côté, le président turc, Recep Tayip Erdogan, a qualifié les déclarations du régime syrien d’« opération psychologique ». Dans un communiqué, le ministère de la défense turc a par ailleurs affirmé que les forces à dominante kurdes qui contrôlent toujours Manbij n’avaient « pas le droit ou le pouvoir de parler au nom de la population locale ou d’inviter une quelconque partie ». 

« Les Unités de protection du peuple kurde et le gouvernement syrien veulent défendre Manbij et les frontières de l’Etat syrien contre une invasion turque », rétorque un haut responsable kurde de Syrie. « Les militaires des deux côtés [FDS et régime] sont chargés des questions techniques et l’Etat syrien est membre légal des Nations unies. Nous ne sommes pas contre la protection de Manbij et des frontières de la Syrie par l’armée gouvernementale. L’autonomie des régions dans le monde n’est pas contraire au principe de protection de frontière d’Etat par l’armée du pays », veut-il croire.

« Apporter de la clarté »

Il n’est pas sûr que Damas se contente sur le long terme de « questions techniques » alors que le retrait américain pourrait consacrer son retour dans le nord du pays en position de force. Et fort, notamment, du soutien de son allié russe.

Moscou a d’ailleurs jugé « positive » l’annonce de l’entrée de l’avancée des forces syriennes, estimant que cela allait « dans le sens d’une stabilisation de la situation ». La question devait être discutée samedi 29 décembre lors d’une visite à Moscou des ministres turcs des affaires étrangères et de la défense, qui doit « apporter de la clarté », selon le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov.

« Les Kurdes ont lancé un appel auquel le régime s’est fait une joie de répondre en investissant les zones de contact entre les FDS d’une part, et les Turcs d’autre part. Les Russes sont dans la boucle et font l’intermédiaire entre les Kurdes et le régime », estime une source proche du dossier, qui ajoute : « Les Kurdes ne sont pas dupes. Il est clair que les négociations les plus dures avec Damas sont à venir. »