Manifestation lors de la COP24 à Katowice (Pologne), le 14 décembre 2018. / KACPER PEMPEL / REUTERS

Editorial du « Monde ». Deux cents personnalités ont répondu, en septembre 2018, à l’appel de l’astrophysicien Aurélien Barrau pour une action politique face au changement climatique. Quelques jours plus tôt, ce chercheur avait publié, dans le journal en ligne Diacritik, un « Appel face à la fin du monde ». Convaincu, comme tous les intellectuels qui ont participé au supplément « Idées » que nous publions avec cette édition, que « la catastrophe est déjà en cours » et qu’elle constitue « un crime contre l’avenir », Aurélien Barrau estime qu’il est désormais « vital que les décisions politiques drastiques – et contraignantes, donc impopulaires – soient prises ».

Le dilemme est vertigineux : faut-il renoncer à la démocratie pour endiguer le réchauffement climatique, ou attendre que celui-ci ait raison de la démocratie, voire de notre civilisation ? Car l’équation est malheureusement simple.

Le physicien américain Dennis Meadows, coauteur du rapport commandé par le Club de Rome, en 1972, qui alertait alors sur les dangers pour l’environnement de l’expansion démographique et économique, la résumait encore, en décembre, dans Le Monde : les problèmes engendrés par le changement climatique et la pollution exigent de déployer des mesures extrêmement coûteuses à court terme, mais dont les effets ne se mesureront pas avant des décennies. « Aucun homme politique ou parti ne remportera une élection avec un tel programme, concluait-il. C’est la limite de la démocratie, qui a échoué à traiter le problème environnemental. »

Et voilà que ressurgit le spectre de la dictature écologique, mis en évidence dès 1979 par le philosophe allemand Hans Jonas. Réduire notre consommation (et donc abandonner une partie de notre confort), organiser le contrôle de la démographie humaine et peut-être celui de la pénurie : Jonas avait théorisé ces problèmes cruciaux.

Le scénario du pire

Pour éviter de les affronter directement, il préconisait de les anticiper, en développant au plus vite notre responsabilité. Mais il évoquait déjà, pour assurer la survie de l’espèce humaine, ce qu’il considérait comme le scénario du pire : le recours à « une tyrannie bienveillante, bien informée et animée par la juste compréhension des choses ». Un régime autocratique qui lui semblait plus à même de « réaliser nos buts inconfortables » que nos démocraties.

Si l’on en croit au contraire les partisans du transhumanisme, qui rêvent d’améliorer l’espèce humaine pour la rendre capable d’affronter le monde qui vient, on risque fort de réaliser la prophétie dessinée par le philosophe et psychanalyste Pierre-Henri Castel : aborder une période où riches et puissants profiteront des ultimes ressources qui nous restent, au prix de l’aggravation des injustices planétaires et de la disparition d’une part notable des sept milliards d’êtres humains. Les mêmes, après avoir géré la croissance et l’abondance, géreraient la pénurie. A leur seul profit.

Entre ces deux sombres perspectives, il nous reste la liberté de choisir une autre voie. Un sursaut politique d’une force considérable venant tant des élus, des autres pouvoirs, que des citoyens peut encore nous permettre de concilier la sauvegarde de l’humanité et de la vie sur Terre, dans sa diversité, et la survie de nos valeurs démocratiques. Sauver la planète en préservant les libertés. Encore faut-il que chacun ait désormais pleinement conscience des enjeux, et s’attelle à trouver des remèdes.