Le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, lors de son allocution à la télévision, le 7 janvier. / THOMAS COEX / AFP

Tant de pression sur un seul homme. Tant d’attaques contre un individu. Il n’est pas question ici de Benyamin Nétanyahou, confronté à plusieurs dossiers de corruption, qui se resserrent autour de lui, mais du procureur général israélien, Avichai Mandelblit. A la suite des recommandations de la police, le haut magistrat doit décider de l’inculpation éventuelle du premier ministre israélien dans les trois dossiers à l’instruction, à l’approche des élections législatives du 9 avril. Ce privilège est son fardeau. Il explique la campagne orchestrée contre lui, avec une férocité rare, au mépris de la séparation des pouvoirs.

Vers 17 heures lundi 7 janvier, le bureau du premier ministre a annoncé une déclaration solennelle de M. Nétanyahou, dans la soirée. Ce dernier a ainsi bénéficié de l’attention générale, à une heure de grande écoute. Le chef du gouvernement, sombre et sur la défensive, a lu un texte dans lequel il clamait à nouveau son innocence et dénonçait des enquêtes « biaisées ». Dans un communiqué, le ministère de la justice a défendu le professionnalisme des policiers et des magistrats.

« Je n’ai pas peur »

Le chef du gouvernement a expliqué qu’il avait demandé à deux reprises une confrontation avec les témoins d’Etat, ses anciens proches, Shlomo Filber, Nir Hefetz et Ari Harow, qui collaborent avec les enquêteurs pour alléger leur propre sort judiciaire. Une demande refusée pour des raisons classiques : une confrontation peut avoir du sens pour éclaircir un événement précis, comme les circonstances d’un crime. Mais dans une affaire de corruption, ce sont les preuves recueillies qui importent. Dans sa déclaration, feignant la transparence, M. Nétanyahou a suggéré que ces éventuelles confrontations soient diffusées en direct, afin que tous les citoyens soient informés.

« Je n’ai pas peur, je n’ai rien à perdre », a prétendu le premier ministre, alors que la réalité infirme ces deux propositions. Certes, le Likoud apparaît largement en tête dans les sondages, avec près de 15 points d’avance sur le nouveau parti de Benny Gantz, ancien chef d’état-major aux idées inconnues. Mais qui peut prévoir quelle sera la configuration dans trois mois ? Ce qui se joue est la survie politique de Benyamin Nétanyahou, à court terme, et sa liberté à plus long terme. Sa trace dans l’Histoire, en somme, dont il est si féru.

En ce début d’année 2019, l’atmosphère est déjà irrespirable entre ses partisans et le pouvoir judiciaire. David Amsalem, le chef de la coalition à la Knesset, a déclaré récemment que « des millions de personnes n’accepteraient pas » une inculpation du premier ministre dans « ces dossiers surréalistes ». Le procureur d’Etat Shaï Nitzan a jugé ces propos « extrêmement problématiques ». La justice poursuivra son travail avec « le seul compas qui détermine notre chemin, le bien du pays », a rétorqué de son côté le procureur général Avichai Mandelblit.

Une inculpation avant les élections ?

Lors d’une conférence organisée à la fin décembre à Jérusalem, ont rapporté les médias, ce dernier a discuté avec d’anciens hauts magistrats d’une éventuelle procédure d’inculpation avant les élections. Avec une préoccupation en tête : la possibilité pour les électeurs d’être informés avant de se prononcer. Un argument rejeté par les avocats de M. Nétanyahou : selon eux, il serait « non démocratique » de tenir une première audience en vue d’une inculpation avant les élections sans que le public puisse entendre « l’autre version de l’histoire ».

Depuis l’annonce d’élections anticipées, le premier ministre multiplie les vidéos, moyen de communication directe qu’il privilégie ces dernières années. Dans l’une d’elles, il accusait « les manifestants de gauche et les médias » d’exercer une pression « inhumaine » sur le procureur général en vue de son inculpation. Une façon de « voler l’élection » aux Israéliens, selon lui. Le premier ministre s’est comparé au footballeur Lionel Messi, que l’arbitre chercherait à sortir du terrain parce que son équipe gagne toujours. Dans une autre vidéo, plus récente, M. Nétanyahou développait une analogie entre une inculpation et le fait de couper le bras d’un homme accusé à tort de vol. « Peut-on lui rendre son bras ? Peut-on vous rendre une élection ? » interrogeait-il.

Le 26 décembre, la Knesset a voté sa propre dissolution, fixant les élections au 9 avril, huit mois avant la date prévue. Faute de discipline de vote, la coalition était paralysée depuis le départ du ministre de la défense, Avigdor Lieberman, à la mi-novembre. Selon un sondage publié par le Jerusalem Post, 51 % des Israéliens souhaiteraient la démission du premier ministre en cas d’inculpation. Toute la stratégie de M. Nétanyahou consiste à électriser la campagne, à se poser en seul homme d’Etat, à dramatiser les enjeux en insistant sur la nécessité d’un vote utile à droite. La recette avait marché en mars 2015 : le Likoud avait siphonné une partie des voix de la droite nationale religieuse en agitant la menace d’une victoire de la gauche. Ce ressort résistera-t-il à l’usure du temps, à la lassitude des citoyens ?