Amazon, vendeur de destruction massive
Amazon, vendeur de destruction massive
Par Catherine Pacary
En 2018, le géant du commerce en ligne aurait détruit 3,2 millions de produits neufs en France.
Au rayon des aberrations commerciales, on connaissait déjà le gaspillage alimentaire ou encore l’obsolescence programmée, deux thèmes abordés dans Capital, le magazine d’information de M6, dimanche 13 janvier à 21 heures. Le sujet d’ouverture, en revanche, est inédit : Amazon organise la destruction massive de ses invendus. Près de 300 000 objets neufs ont été jetés en trois mois dans son entrepôt de Châlons-en-Champagne, le plus petit des cinq établis en France par le géant de la vente en ligne – les autres sont à Montélimar, Orléans, Amiens et Lille. Au niveau national, cela représente 3,2 millions d’objets manufacturés neufs jetés en 2018, selon les estimations d’élus CGT.
Des boîtes de Playmobil, vendues 36 euros sur le site, de Lego, de couches (31 euros), des machines à pop-corn, le tout dans leurs emballages d’origine, mis à la poubelle. Les chiffres sont à la démesure d’Amazon, devenue, lundi 7 janvier, l’entreprise la plus chère du monde : 300 millions de produits disponibles, 34 millions d’objets vendus par jour.
Guillaume Cahour, arrivé à Capital en septembre 2018, a mené l’enquête. Tout est parti d’un on-dit, signalé par Alma Dufour, membre des Amis de la Terre, en octobre 2018. Amazon détruirait des produits neufs… Après vérification, l’entreprise est contactée mais refuse de répondre. Deux anciens témoignent alors, dont Julie (à visage caché). « De 70 % à 80 % de ce qu’on jetait était vendable », dit-elle.
Il manque la preuve par l’image. Un membre de l’équipe de Capital va donc de se faire embaucher dans l’entrepôt de Châlons. Un procédé journalistique – l’infiltration – discuté. « Je m’accorde ce procédé, soit quand on est certain d’avoir affaire à quelqu’un de malhonnête, soit si l’accès direct est impossible ou si l’on sait que l’on aura une démonstration totalement biaisée si on vient en caméra ouverte, répond Guillaume Cahour. Ce qui était ici mon cas. »
En cause, la politique de stockage
En caméra cachée, donc, la cellule V-Return, pour Vender Return, est localisée. Les différentes étapes de la chaîne de destruction se précisent. Amazon ne vend pas ses produits, ou peu, mais ceux de ses vendeurs. Et pour tenir ses délais de livraison, clé de son succès, elle stocke leurs produits dans ses entrepôts. Le seul problème, ce sont les invendus. « Seules deux options sont offertes aux vendeurs : récupérer la marchandise ou la détruire », complète Guillaume Cahour.
Amazon a, en effet, mis en place un système de facturation du stockage tel (26 euros/m3 au départ, 500 euros/m3 après six mois, 1 000 euros/m3 après un an) qu’il dissuade la quasi-totalité des vendeurs, implantés à une écrasante majorité en Chine, de rapatrier leur marchandise. D’un simple clic et pour un coût dérisoire, ils ordonnent donc en masse à Amazon de la détruire. Ce qui permet à Amazon de récuser toute responsabilité dans ce gâchis.
« Le système Amazon amplifie la surproduction, puisque son principe est de proposer une offre pléthorique, commente Guillaume Cahour. Je ne dis pas qu’acheter ou vendre sur Amazon est mal. En revanche, vendeurs et acheteurs connaissent-ils les conditions ? Je pense que non. Ce reportage peut éveiller à une certaine forme de responsabilité. »
De là à causer du tort au mastodonte ? « On a déjà lu un certain nombre d’éléments inquiétants à son sujet. Amazon aurait précipité des entreprises à la faillite, aurait pratiqué l’optimisation fiscale et la brutalité dans son management. Malgré tout, elle continue à progresser. C’est stupéfiant. »
Capital. Reportage sur Amazon de Guillaume Cahour (28 min).