Manifestations au Soudan : pour la communauté internationale, mieux vaut un régime contesté que le chaos
Manifestations au Soudan : pour la communauté internationale, mieux vaut un régime contesté que le chaos
Le Monde.fr avec AFP
Omar el-Béchir est confronté à un mouvement de contestation inédit depuis trois semaines mais continue de bénéficier du soutien de pays alliés, préoccupés par la stabilité de la région
Depuis trois semaines, les manifestations se multiplient partout dans le pays. Le Soudan d’Omar el-Béchir clame sa souffrance dans la rue. Pourtant, « toutes les parties dans la région (Moyen-Orient) sont à couteaux tirés mais s’accordent d’une certaine façon sur Béchir », estime Abdelwahab al-Affendi, universitaire au Doha Institute for Graduate Studies. Prônant la continuité dans ce pays arabe d’Afrique du Nord, « elles pensent que toute alternative pourrait ne pas leur être favorable ».
Le Soudan est en proie depuis le 19 décembre à des manifestations provoquées par l’augmentation du prix du pain. Ces protestations se sont vite transformées en un mouvement de contestation contre Omar el-Béchir, le plus grand défi auquel est confronté le président depuis son arrivée au pouvoir en 1989, selon des experts. Vingt-deux personnes sont mortes, selon un bilan officiel ; mais des ONG internationales parlent d’au moins 40 morts.
Le soutien des pays voisins
Si le président Béchir est contesté dans son pays, il continue de bénéficier cependant de l’appui de ses alliés régionaux comme l’Egypte, l’Arabie saoudite et le Qatar. « L’Egypte soutient totalement la sécurité et la stabilité du Soudan, qui sont fondamentales pour sa sécurité nationale », a déclaré la semaine dernière le président Abdel Fattah al-Sissi à un proche conseiller du président soudanais reçu au Caire.
Le président soudanais, Omar al-Béchir, s’adresse à ses partisans lors d’un rassemblement à Khartoum (Soudan), le mercredi 9 janvier 2019. Une intervention après trois semaines de manifestations antigouvernementales. (AP Photo/Mahmoud Hjaj) / Mahmoud Hjaj / AP
Après une détérioration de leurs relations en 2017, lorsque M. Béchir avait accusé l’Egypte de soutenir des opposants soudanais, Le Caire et Khartoum ont surmonté récemment leurs différends. Le Soudan a notamment levé en octobre l’interdiction d’importer des produits d’Egypte, imposée pendant 17 mois. Et quelques jours après le début des manifestations, l’émir du Qatar cheikh Tamim ben Hamad al-Thani a appelé même le président soudanais pour lui offrir son aide.
L’Egypte, le Qatar et l’Arabie saoudite « sont contre toute sorte d’insurrection réussie » au Soudan, selon M. Affendi. « Ils estiment que si cela arrive, ils seront les prochains » sur la liste, avec en mémoire le Printemps arabe en 2011.
Un diplomate européen sous le couvert de l’anonymat note par ailleurs que la politique étrangère de M. Béchir « est dictée de toutes parts par les pressions économiques ».
L’économie du Soudan a beaucoup souffert de l’embargo imposé en 1997 par les Etats-Unis pour le soutien présumé de Khartoum à des groupes islamistes. Le régime avait notamment accueilli Oussama ben Laden dans les années 1990.
La peur d’être les prochains sur la liste…
Une coopération renforcée avec Washington a certes permis la levée de cet embargo en 2017 mais selon des experts, cela n’a pas eu les résultats espérés, d’autant plus que les Etats-Unis ont gardé le Soudan sur la liste des pays soutenant le « terrorisme ». Pour s’en sortir, le Soudan doit donc trouver d’autres partenaires.
En décembre 2018, quelques jours avant le début de la contestation, M. Béchir avait rencontré son homologue syrien Bachar al-Assad à Damas, devenant le premier chef d’Etat arabe à se rendre en Syrie après l’éruption du conflit en 2011. Selon des experts, l’idée était de se rapprocher de la Russie, alliée indéfectible du régime syrien et puissance incontournable au Moyen-Orient.
En 2016, le président soudanais avait lâché son allié iranien pour l’Arabie saoudite, rejoignant la coalition régionale menée par Ryad contre les rebelles au Yémen, soutenus par Téhéran. Selon des médias, des centaines de soldats soudanais combattent dans les rangs de la coalition au Yémen. « En échange, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis ont donné à Béchir juste assez pour rester à flot », dit M. Affendi, évoquant une aide financière versée à Khartoum.
Personne ne veut que le Soudan s’effondre
D’autres puissances comme la Chine ont investi des milliards de dollars au Soudan ces dernières décennies. « Pour des pays comme la Chine et la Russie, le Soudan est une porte d’entrée sur l’Afrique », explique le diplomate. « Que ce soit eux ou les Occidentaux, personne ne veut que le Soudan s’effondre ». Mais tous ne travaillent pas de la même façon à le soutenir.
Si les Etats-Unis et l’Union européenne « ne soutiennent pas Béchir » --recherché par la Cour Pénale Internationale (CPI) pour des accusations de crimes de guerre et de génocide au Darfour (ouest)-- ils travaillent avec Khartoum pour s’assurer que « le Soudan reste stable », indique la source diplomatique européenne.
Car toute instabilité dans ce pays pourrait entraîner une nouvelle vague de migration vers l’Europe, selon cette même source. La situation stratégique du Soudan, dans la Corne de l’Afrique, est une aubaine pour M. Béchir, renchérit Amal el-Taweel, analyste au Centre Al-Ahram pour les études politiques et stratégiques, au Caire. « Les puissances internationales et régionales ne laisseront pas le Soudan s’écrouler », dit-elle à l’AFP, estimant que tout dépend désormais « de la façon dont le rapport des forces évoluera dans la rue ». Selon la chercheuse, ces puissances craignent également qu’« un nouveau bastion d’extrémistes » voient le jour au Soudan en raison de l’instabilité.