Une année calme se profile sur le marché de l’art
Une année calme se profile sur le marché de l’art
LE MONDE ECONOMIE
En 2018, la prime est allée aux valeurs sûres, mais elle a été aussi riche en découverte et en innovations technologiques, tandis que les artistes afro-américains et les femmes ont vu leurs cotes progresser.
« Portrait of an Artist (Pool with Two Figures) », de David Hockney, a été adjugé pour 90,3 millions de dollars (près de 80 millions d’euros) en novembre 2018. / DAVID HOCKNEY/ART GALLERY OF NEW SOUTH WALES
Cette année, le marché dans son ensemble risque de se tasser, du fait de la probable hausse des taux d’intérêt. Interrogé en novembre 2018 par le magazine Artnet, Tad Smith, président-directeur général de Sotheby’s, a prédit un ralentissement : « Début 2018, le vent soufflait à plein dans les voiles. Aujourd’hui, il s’est calmé. »
En 2018, la prime est allée aux valeurs sûres, doublées d’une belle provenance. En témoigne le succès de la collection Rockefeller dispersée en mai chez Christie’s : 832,6 millions de dollars (726,3 millions d’euros) récoltés en quelques jours. Un prix à retenir ? Les 115 millions de dollars déboursés par le marchand new-yorkais David Nahmad pour La Fillette à la corbeille fleurie, de Picasso, un tableau vénéneux qui a été présenté jusqu’au 6 janvier dans la somptueuse exposition « Picasso. Bleu et rose » au musée d’Orsay.
Un bémol toutefois : bien que sur le papier les résultats soient impressionnants, l’ensemble très « vieille école » de tableaux modernes n’a réservé que peu de surprises tant le montant des garanties était élevé. En revanche, la magie du patronyme fut déterminante pour les objets les plus banals, comme un panier à pique-nique de la marque Asprey, estimé 5 000 dollars et vendu la bagatelle de… 212 500 dollars !
Nouveau record pour un tableau de Le Nain
La magie, c’est aussi les découvertes inattendues qui font le sel du marché. En 2017, ce fut un Christ en Salvator Mundi attribué à Léonard de Vinci – et depuis contesté – adjugé 450 millions de dollars chez Christie’s.
En 2018, Jésus a toujours été superstar. Mais cette fois, plus modestement, sous les traits d’un chérubin méditant devant une croix. L’histoire est jolie. Une septuagénaire vendéenne confie cette toile, alors non attribuée, aux commissaires-priseurs tourangeaux Philippe et Aymeric Rouillac, habitués à dénicher des pépites dans les greniers français. Le cabinet d’expertise Turquin pressent une attribution importante, pourquoi pas les frères Le Nain, artistes majeurs du XVIIe siècle.
En 2017, un Christ en Salvator Mundi attribué à Léonard de Vinci avait été adjugé 450 millions de dollars chez Christie’s, il a été depuis contesté. / TOLGA AKMEN / AFP
En confrontant l’œuvre aux tableaux des Le Nain que détient le musée du Louvre, les experts n’ont plus de doute : le tableau est de la même main. Auréolée de cette nouvelle attribution, l’huile se vend pour 3,6 millions d’euros en juin, triplant le précédent record établi à New York pour un tableau des Le Nain.
L’année 2018 fut aussi celle des révolutions. Technologique, tout d’abord. Les acteurs du marché n’ont plus qu’un mot à la bouche : la blockchain. Ce procédé, qui sert aux monnaies cryptographiques, permet des transactions sécurisées dans une chaîne de blocs, par le truchement d’un réseau d’ordinateurs.
En juin, la galerie britannique Dadiani, associée à la plate-forme d’investissement d’art en ligne Maecenas, a mis pour la première fois aux enchères à travers la blockchain des parts d’une sérigraphie d’Andy Warhol, 14 Small Electric Chairs, estimée 4,2 millions de livres sterling (4,7 millions d’euros). Bingo : 800 enchérisseurs se seraient bousculés pour emporter, sur la Toile, un fragment – virtuel – de cette œuvre.
Le deuxième grand basculement est d’ordre culturel : 2018 marque l’ascension des artistes afro-américains. En premier lieu, de Kerry James Marshall, natif de Birmingham (Alabama), dont un immense tableau s’est vendu en mai pour le prix record de 21,1 millions de dollars. Un bénéfice juteux pour le Metropolitan Pier and Exhibition Authority, qui l’avait acheté 25 000 dollars en 1997.
L’année des femmes
Lentement mais sûrement, les femmes, aussi, contre-attaquent sur le marché. La cote de Joan Mitchell, peintre américaine décédée en 1992 et actuellement exposée au Fonds Hélène et Edouard Leclerc à Landerneau, a repris des couleurs.
En mai, le record de 16,6 millions de dollars établi chez Christie’s la replace au niveau de ses contemporains masculins comme Franz Kline. La palme pour une artiste vivante n’est pas aussi élevée. Elle revient à Jenny Saville, dont un grand nu a été adjugé 10,5 millions d’euros en octobre chez Sotheby’s à Londres. L’artiste britannique s’est toutefois fait souffler la vedette par Banksy, qui, dans la même vente, a semé l’émoi médiatique en détruisant son œuvre à distance. Le record féminin est d’ailleurs huit fois inférieur à celui de 80,3 millions de dollars établi un mois plus tard par un autre Britannique, David Hockney.