Un camp de réfugiés soudanais, implanté à 13 kilomètres d'Agadez par le Haut Commissariat aux réfugiés des Nations unies, où vivent plus de 1 500 personnes. / BACHIR POUR LEMONDE

Leur arrivée a suscité l’étonnement d’abord. La méfiance ensuite. Presque du jour au lendemain, fin 2017, plusieurs centaines de Soudanais – originaires de la région du Darfour – se sont installées à Agadez, une ville du nord du Niger qui n’est un eldorado pour personne.

La ville, aux portes du désert, a au contraire vu son activité économique se ternir depuis l’entrée en vigueur d’une loi, en 2015, qui fait la guerre au trafic illicite de migrants. Un coup difficile pour ce carrefour migratoire par lequel ont longtemps transité l’essentiel des flux de migrants subsahariens vers la Libye ou l’Algérie, pour certains en quête d’Europe. Avec cette loi, les mouvements se sont taris. Et soudain, en l’espace de quelques mois, plus de 2 000 Soudanais ont afflué en ville. « On se demande pourquoi ils ont choisi de venir ici. C’est atypique », s’étonne encore le gouverneur de la région, Sadou Soloke. L’homme se souvient des « plaintes de la population » et des « problèmes de voisinage ». « Ils étaient partout dans les rues », justifie-t-il.

« On m’a traité de chien, d’esclave »

Tous expliquent fuir la Libye. A l’image de Mohamat, 25 ans, arrivé en avril 2018 à Agadez. En Libye, à Sebha, il travaillait pour une exploitation maraîchère, mais son patron a arrêté de le payer. Et lorsque Mohamat a réclamé ses 300 dinars mensuels (187 euros), il a été « battu » et « menacé avec une kalachnikov ». « Il était capable de me tuer », assure-t-il. Le jeune Soudanais a fui, mais raconte avoir été aussitôt kidnappé par des Libyens. Enfermé dans un hangar avec d’autres migrants, attaché, ses geôliers lui auraient un jour amené un cadavre sous les yeux. « Ils ont dit que ceux qui essaieraient de s’échapper finiraient de la même manière », précise-t-il.

Mohamat, 25 ans, est arrivé de Libye via la ville de Madama en empruntant un camion de transport de marchandise collectif. / BACHIR POUR LE MONDE

La suite est le récit classique de ceux qui sont passés par l’enfer libyen. Mohamat est battu et filmé en même temps. La vidéo envoyée à sa famille à qui une rançon est réclamée en échange de sa libération. « On m’a traité de chien, d’esclave », se souvient-il. Au bout de plusieurs jours, il s’échappe et revient à Agadez « parce que j’ai entendu qu’il y avait un camp de réfugiés ». Comme Annour qui avait entendu « qu’on me donnerait un endroit où s’installer et à manger matin et soir ». Hors de question pour ce jeune homme de 22 ans, qui a déjà échoué à traverser la Méditerranée, de rentrer au Darfour, pas plus que dans le camp de réfugiés soudanais où il a déjà perdu treize années de sa vie et où sa famille continue de tenter de survivre au quotidien.

Face à cette demande de protection, les autorités nigériennes ont d’abord été très réticentes. Notamment parce qu’elles soupçonnent certains Soudanais d’avoir combattu au sein de milices en Libye. A tel point qu’en mai, 132 d’entre eux sont arrêtés et renvoyés à la frontière. Le Haut Commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR) parle d’un « incident » unique. A la même époque, l’agence de l’ONU ouvre un bureau permanent à Agadez. « Peu d’entre ceux et celles qui fuient les persécutions et les conflits savent que l’asile est possible dès qu’ils ont franchi une frontière internationale et que le Niger peut être une terre d’accueil », tente de faire-valoir Ibrahim Traoré, représentant du HCR au Niger.

« Certaines situations relèvent de la psychiatrie »

Aujourd’hui, les autorités nigériennes sont rassurées. Le HCR a construit, à treize kilomètres de la ville, en pleine brousse, loin des regards, un camp d’abris. A partir de l’été 2018, la majorité des Soudanais y ont été déménagés et seuls 1 600 sont toujours à Agadez. L’ONG Médecins du monde Belgique (MDM), présente sur place, s’inquiète toutefois d’une situation précaire qui pourrait durer plusieurs années, même si le Niger a consenti et commencé à examiner les demandes d’asile. Depuis le mois de septembre 2018, huit accouchements ont eu lieu dans l’infirmerie du camp. Un homme s’est aussi suicidé près de l’ancien site et un autre a fait une tentative dans le nouveau camp. « Certaines situations relèvent de la psychiatrie et nécessitent un suivi adéquat », met en garde Johannes Claes, de MDM Belgique.

Un camp de réfugiés soudanais, implanté à 13 kilomètres d'Agadez par le Haut Commissariat aux réfugiés des Nations unies, où vivent plus de 1 500 personnes. / BACHIR POUR LEMONDE

Certains observateurs ont en outre le sentiment que le camp de Soudanais est une conséquence non souhaitée des politiques migratoires européennes. « Ces Soudanais sont arrivés juste après le lancement au Niger du mécanisme de réinstallation de migrants évacués de Libye », souligne un humanitaire qui connaît bien la zone. Fin 2017, en même temps que se refermait la route migratoire de la Méditerranée centrale, des Etats d’Europe et d’Amérique se sont en effet engagés à donner l’asile à quelques milliers de réfugiés évacués des centres de détentions libyens par le HCR et accueillis, en transit, au Niger. Le pays du Sahel, parmi les plus pauvres du globe, est le seul à avoir accepté d’héberger un tel mécanisme, alors qu’il accueille déjà sur son sol des réfugiés maliens et nigériens en nombre.

« On nous a abandonnés dans le désert » : des migrants africains témoignent
Durée : 04:05

Les Soudanais d’Agadez ont-ils cru pouvoir en bénéficier ? Le HCR réfute l’hypothèse d’un appel d’air. « Agadez se trouve simplement être le seul couloir de sortie de la Libye vers un pays plus ou moins sûr », évacue Alessandra Morelli, représentante du HCR au Niger. Elle précise qu’une partie des Soudanais ont travaillé sur des sites aurifères nigériens. Leur fermeture fin 2016 par le gouvernement expliquerait aussi le repli vers Agadez.

Une « discrimination » dont ils seraient victimes

Début décembre 2018, une manifestation a toutefois mis en évidence le malaise autour de cette situation. Des dizaines de Soudanais ont organisé un sit-in de plusieurs jours devant les bureaux du HCR à Niamey. Ils réclamaient d’être eux aussi réinstallés en Europe ou en Amérique et dénonçaient la « discrimination » dont ils seraient victimes, alors que 2 700 personnes évacuées de Libye – en majorité des Erythréens, des Ethiopiens ou des Somaliens – ont bénéficié depuis un an de l’asile en Occident.

Un camp de réfugiés soudanais situé dans la ville d'Agadez et géré par le Haut Commissariat aux réfugiés des Nations unies. Ici vivent plus de 60 personnes qui attendent que leurs situations administratives s'éclaircissent. / BACHIR POUR LEMONDE

Ceux qui ont manifesté à Niamey sont d’autant plus amers qu’ils font partie d’un contingent de 130 Soudanais déjà enregistrés dans des camps de réfugiés au Tchad et que le HCR veut renvoyer là-bas. « La réinstallation [en Occident] de tout ce groupe de Soudanais n’est pas prévue, prévient Alessandra Morelli. Au Niger, ils ont une maison, un repas trois fois par jour et ils ont un travail dans la construction du site de transit des évacués de Libye [qui doit être opérationnel dans les prochains mois, à 40 kilomètres de Niamey] ».

Le message est d’autant plus difficile à entendre qu’une petite partie des Soudanais – identifiés comme particulièrement vulnérables – a bel et bien bénéficié d’un corridor humanitaire vers l’Italie. Ils y ont été accueillis en novembre 2018, accompagnés de la représentante du HCR, par Matteo Salvini en personne, venu sur le tarmac d’un aéroport militaire près de Rome montrer que l’Italie est « un pays d’accueil, généreux, solidaire ». De quoi ajouter à la confusion. Et à la frustration.

Sommaire de notre série « Migrants : terminus Niger »

Notre journaliste Julia Pascual et notre photographe Bachir se sont rendus au Niger, où des dizaines de milliers de migrants subsahariens, pour la plupart expulsés de l’Algérie voisine, transitent en attendant de retenter l’aventure, de rentrer chez eux ou d’obtenir l’asile dans un autre pays.

Episode 1 Au Niger, les refoulés d’Algérie racontent la « chasse à l’homme noir »

Episode 2 « On nous a abandonnés dans le désert » : des migrants africains témoignent

Episode 3 Arlit, première étape des refoulés d’Algérie

Episode 4 Chez la Camerounaise Yvette, la migration est une affaire de famille

Episode 5 Sous pression de l’Europe, « la violence contre les migrants subsahariens se banalise » en Afrique

Episode 6 Les migrantes saisonnières, fragiles victimes des refoulements d’Algérie

Episode 7 Abraham, rescapé des geôles libyennes : « Ils voulaient me tuer »

Episode 8 A Agadez, des Soudanais revenus de Libye rêvent encore d’Europe