Keri Russell et Matthew Rhys jouent un couple d’espions russes aux Etats-Unis, en pleine guerre froide, dans la série « Les Américains ». / FOX

Cette semaine, notre journaliste Martine Delahaye revient sur dix séries incontournables de l’année 2018.

« The Americans », une fin en apothéose

The Americans - saison 6 - la longue bande-annonce finale (VO)
Durée : 01:31

Cette série, due à un ancien membre de la CIA, Joe Weisberg, a brillamment pris fin en 2018. Si ses six saisons ont connu quelques rares creux dramatiques, son épisode ultime, lui, est un modèle du genre, sans doute le plus réussi que nous ayons eu à connaître. The Americans vient d’ailleurs de recevoir, ce mois-ci, le Golden Globe de la meilleure série télévisée dramatique, remis par la Hollywood Foreign Press Association.

L’on y suit, pendant la guerre froide, dans les années 1980, un couple d’espions du service de renseignement soviétique, le KGB, installé de longue date aux Etats-Unis et censés être Américains. Lorsque s’ouvre la série, quelques années après le « réveil » de ces agents jusque-là « dormants », Philip et Elizabeth Jennings – leur nom de couverture – sont même parents de deux ados nés sur le sol américain.

Comment combattre l’ignoble ennemi ­capitaliste, tout en vivant comme un Américain modèle ? Et comment maintenir la cohésion d’une famille lorsque, en tant que parent, on a chevillée au corps une idéologie contraire à celle de ses enfants ? A l’image de l’ordre mondial, le lien entre les Jennings se trouve souvent au bord de la rupture.

« The Americans », saison 6, série créée par Joe Weisberg. Avec Keri Russell, Matthew Rhys, Holly Taylor, Noah Emmerich, Costa Ronin (Etats-Unis, 10 × 42 min). Sur Mycanal.fr

« Peaky Blinders », une superbe saga

Peaky Blinders: Series 4 Trailer - BBC Two
Durée : 01:01

Tirés à quatre épingles, la casquette vissée au ras des yeux, les Peaky Blinders ont bel et bien défrayé la chronique, entre 1890 et 1900 environ. Vivant de paris et de rapines dans les faubourgs de Birmingham (Royaume-Uni), ils avaient pour particularité de porter des casquettes à « visière aveuglante » (peaky blinder) : « aveuglante » parce que cachant leurs yeux, ou « aveuglante » en raison des lames de rasoir placées dans la visière pour mieux fendre le front d’un adversaire (deux interprétations possibles, selon les experts).

Toujours est-il que les Peaky Blinders furent des gangsters des faubourgs, nés du côté mafieux de l’économie.

Le scénariste britannique Steven Knight, dont l’enfance à Birmingham a été émerveillée par les souvenirs pourtant horrifiants qu’en rapportaient ses parents, a transposé et fantasmé les méfaits des Peaky Blinders trente ans après leur disparition réelle : en 1919, année où commence cette mini-série qui compte pour le moment quatre saisons.

La cinquième saison de cette superbe saga devrait intervenir à l’été ou à l’automne. Mise en scène et éclairages, interprétation, musique, tout ici concourt à rendre ces Peaky Blinders flamboyants. Ils tireront leur révérence à l’issue d’une septième saison, située en 1939.

« Peaky Blinders », saison 4, série créée par Steven Knight. Avec Cillian Murphy, Adrien Brody, Helen McCrory, Paul Anderson, Tom Hardy (Royaume-Uni, 6 × 52 min). Sur Arte

« The Affair », sensuelle et inventive

The Affair Season 4 "This Season On" Trailer (HD)
Durée : 01:31

Il se pourrait bien que The Affair, série créée par Hagaï Levi et Sarah Treem, se révèle entrer, mais sous forme dramatique, dans ce que le philosophe Stanley Cavell a caractérisé comme les « comédies de remariage ».

En effet, après avoir adopté un double point de vue pour conter une même histoire d’amour ­extra-conjugale – chaque épisode, divisé en deux parties, permettait de confronter le regard de l’un(e) puis de l’autre sur l’aventure naissante –, The Affair, en fin de quatrième saison, en 2018, a vu se retrouver autour de vieux souvenirs communs le couple que formaient autrefois Helen (Maura Tierney) et Noah ­ (Dominic West), mariés pendant de longues années et parents de quatre enfants avant que ce dernier ne fasse tout voler en éclats en tombant amoureux d’Alison (Ruth Wilson)…

Souvent tournée dans les superbes paysages de Long Island, dans l’Etat de New York, dolente et poétique, sensuelle et formellement inventive, The Affair a malicieusement reposé, jusqu’ici, sur « notre envie à tous de savoir ce que pense celle ou celui avec qui nous partageons notre vie ». Pour la cinquième et dernière saison, prévue pour 2019, Sarah Treem aurait fait le pari de proposer au spectateur un bond d’une trentaine d’années.

Et de mettre en scène, notamment, la fille d’Alison et de son ex-mari, Joanie Lockhart (interprétée par la Canadienne Anna Paquin), alors qu’elle est devenue adulte et qu’elle est de retour à Montauk où vivaient ses parents. L’occasion d’un long retour en arrière sur ce que chacun sera devenu, entre-temps.

« The Affair », saison 4, série créée par Sarah Treem et Hagai Levi. Avec Ruth Wilson, Dominic West, Maura Tierney et Joshua Jackson (Etats-Unis, 10 x 52 min). Sur Mycanal.fr

« Pose », le miroir du réel

Pose (FX) Trailer HD - Evan Peters, Kate Mara series
Durée : 01:31

Voilà une plongée dans le monde new-yorkais qui fut celui de la « ball culture », ces « bals » queer de la communauté noire et latina organisés sous forme d’hallucinants concours, dans des boîtes de nuit, pour que travestis, transformistes, drag-queens et femmes transgenres emperruquées, maquillées et vêtues avec extravagance connaissent leur quart d’heure de gloire… alors que leur vie hors bal relevait souvent du cauchemar pur et simple.

En cette fin des années 1980, le sida ravage déjà la communauté et ces femmes transgenres vivent précisément, dans leur majorité, de drogue et de prostitution. Sauf à être recueillies par une « mère » voulant entretenir un sérail et fonder une « maison » de compétitrices prêtes à tous les sacrifices pour briller dans les bals et accroître la renommée de leur « maison ».

Le très prolifique créateur Ryan Murphy, accompagné dans cette aventure par Brad Falchuk et Steven Canals, a transformé en fiction le monde de ces « bals » qui fut fort bien documenté par Jennie Livingstone dans le documentaire Paris Is Burning (1991).

Lieux, parcours des personnages, extravagance des costumes et des attitudes, la série se fait miroir du réel ; mais la fiction permet d’y surimprimer une mise en scène captivante, ainsi qu’une humanité, une sensibilité et une attention à l’égard des personnages qui font mouche. Sans complaisance ni misérabilisme. Une deuxième saison est prévue.

« Pose », série créée par Ryan Murphy, Brad Falchuk et Steven Canals. Avec M.J. Rodriguez, Indya Moore, Dominique Jackson (Etats-Unis, 8 × 58 min). Sur Mycanal.fr

« Better Call Saul », tout en ambiguïté et sensibilité

Watch AMC's Better Call Saul Season 4 Trailer (Comic-Con 2018)
Durée : 01:51

Voilà une aventure sérielle des plus passionnantes. Après l’immense succès de Breaking Bad (2008-2013), Vince Gilligan, pour ne pas rester paralysé par la peur de ne jamais faire aussi bien, se jette immédiatement dans l’écriture d’une nouvelle histoire.

Avec Peter Gould – scénariste et réalisateur sur Breaking Bad –, mais sans vision précise, il décide de s’intéresser à l’un des personnages secondaires de Breaking Bad, Saul Goodman, avocat aussi hilarant que véreux. Pour une série intitulée Better Call Saul. Si ce n’est que dans cette série d’avant Breaking Bad, le parcours de Saul Goodman se révèle semé de déceptions, donc étonnamment peu comique – ce qui n’exclut pas d’être drôle. Le Saul originel va s’avérer un être déjà plein de ressources inventives mais aussi torturé, et même émouvant.

Saul Goodman apparaît ici sous son nom d’origine, Jimmy McGill. Un Jimmy gaffeur, débrouillard, mais qui, loin du cynisme qui le caractérisera dans Breaking Bad, veut le plus souvent faire le bien autour de lui. Beaucoup, dans cette série savamment écrite, tient à la qualité d’interprétation du formidable Bob Odenkirk, qui parvient à une rare subtilité tragicomique.

L’on peut fort bien suivre Better Call Saul sans avoir vu Breaking Bad, mais l’on ne devrait pas manquer cette série même si l’on n’a guère prisé Breaking Bad. Excellemment réalisée – de « simples » plans filmés au ras du sol peuvent avoir une force picturale inouïe –, Better Call Saul vibre d’ambiguïté, d’intelligence et de sensibilité dans chacune de ses saisons.

« Better Call Saul », saison 4, série créée par Vince Gilligan et Peter Gould. Avec Bob Odenkirk, Rhea Seehorn (Etats-Unis, 10 x 45 min). Sur Netflix

« Gomorra », une mise en scène pointilleuse

GOMORRA SAISON 3 VF bande annonce sous titrée français VOSTFR
Durée : 02:14

Série très documentée sur la guerre des clans au sein de la Camorra, la mafia napolitaine, Gomorra s’inspire du travail de l’écrivain et journaliste Roberto Saviano – ce dernier a participé à l’écriture du scénario et vit sous protection policière permanente depuis 2006. « Gomorra est aussi le moyen de raconter les mécanismes et la grammaire du pouvoir », a d’ailleurs noté Saviano.

La troisième saison, écrite par Leonardo Fasoli, Maddalena Ravagli et Ludovica Rampoldi, concentre l’intrigue sur les deux personnages emblématiques de l’avenir de la mafia napolitaine : les jeunes Ciro (Marco d’Amore) et Genny Savastano (Salvatore Esposito), dont on explore ici les zones d’ombre, l’amertume et les manques, dans une ambiance crépusculaire. Toujours avec le même souci pointilleux des décors, de la mise en scène et de l’éclairage qui rendent Gomorra cinématographiquement remarquable.

Peut-être se prépare-t-il, pour la saison suivante, la prise de pouvoir par des baby-gangs, des gamins de moins de 20 ans, encore plus jeunes que nos deux meneurs actuels, à l’image de ce que Saviano décrit dans son dernier livre, Piranhas (Gallimard, 2018). Des « muschilli » (« moustiques »), comme la Camorra les surnomme, qui, en 2013, ont bel et bien pris le pouvoir sur le trafic napolitain.

« Gomorra », saison 3, série créée par Roberto Saviano. Avec Marco d’Amore et Salvatore Esposito (Italie, 12 × 50 min). Sur Mycanal.fr

« Le Bureau des légendes », une œuvre captivante

Le Bureau des Légendes S4 : Bande-annonce (version longue)
Durée : 01:34

Avec l’œuvre captivante qu’élabore Eric Rochant autour du service de renseignement extérieur de la France (la DGSE), la représentation de l’espionnage français a gagné ses lettres de noblesse. L’agent secret tricolore n’est plus un être vil, fourbe ou ridicule, mais un serviteur de l’Etat, un grand professionnel du renseignement et de l’ombre comme les Britanniques aiment à l’honorer.

Passionné par l’espionnage, Eric Rochant aura imaginé, pour donner chair et esprit au personnel du « bureau des légendes » (BDL), au sein de la DGSE, des intrigues puissamment inspirées de l’actualité géopolitique et impeccablement écrites. En saison 4, il initie même le spectateur aux nouveaux enjeux de la lutte entre grandes puissances : la cybersécurité, la création et le contrôle de l’intelligence artificielle, bref, la guerre à coups de codage informatique.

Est-ce dû à l’arrivée de la cinéaste Pascale Ferran (Lady Chatterley, Bird People) à la tête du pool des réalisateurs de cette saison 4 ? Se remarquent en tout cas plus qu’auparavant le soin apporté à des détails éclairants de mise en scène et une forme de didactisme dans l’analyse des enjeux géopolitiques en cette époque de cyberattaques.

« Le Bureau des légendes », saison 4, série créée par Eric Rochant. Avec Mathieu Kassovitz, Florence Loiret-Caille, Sara Giraudeau, Jonathan Zaccaï (France, 10 x 52 min). Sur Mycanal.fr

« La Fabuleuse Mme Maisel », un charme irrésistible

The Marvelous Mrs. Maisel - Trailer officiel Saison 2
Durée : 02:04

The Marvelous Mrs Maisel, ou l‘émancipation d’une mère au foyer new-yorkaise en comique de stand-up. Avec un retour aux années 1950, en version féminine voire féministe, et en forme de simili-comédie musicale. Cette série d’Amy Sherman-Palladino, la créatrice de Gilmore Girls, se montre un peu moins réussie en saison 2, mais elle n’en conserve pas moins un charme irrésistible, notamment dû à la pétillante interprète de Mme Maisel, l’éruptive Rachel Brosnahan.

Lorsque s’ouvre la série, ­Miriam dite Midge Maisel estime s’être engagée sur la voie parfaite de l’épanouissement, en tant que mère et épouse. Issue d’une famille juive intellectuelle aisée, à New York, elle mène une vie tout en raffinement qui lui va comme un gant de satin, en cette fin des années 1950. Mais un séisme vient tout bouleverser : son mari la quitte pour une secrétaire. Fin de la cage dorée et vrai début de la série. Qui va l’amener à découvrir, dans les petits clubs de Greenwich Village, qu’elle détient un formidable talent comique nourri de faconde, de joie de vivre et de culot.

Préciosité hyper-stylisée, reprise des poncifs de la comédie musicale et clin d’œil aux clichés de la comédie romantique… Costumes, musique, qualité des acteurs, construction des personnages, dont la très belle relation qui se noue entre Midge Maisel et sa manageuse : s’orchestre ici une comédie dramatique très réussie sur la renaissance d’une femme sous les apprêts d’un conte féerique.

« La Fabuleuse Mme Maisel », saison 2, série créée par Amy Sherman-Palladino. Avec Rachel Brosnahan, Alex Borstein, Marin Hinkle, Tony Shalhoub (Etats-Unis, 10 × 60 min). Sur Amazon Prime

« Hippocrate », des personnages forts

HIPPOCRATE Saison 1 Bande Annonce (Série, 2018) Louise Bourgoin
Durée : 01:57

Parmi les nouvelles séries françaises apparues en 2018, la palme revient sans doute aucun à Hippocrate. A découvrir même si l’on fuit habituellement les séries hospitalières – il n’y a lieu de quitter l’écran des yeux que deux ou trois fois, le temps d’un pansement ou d’un soin, soit quelques secondes seulement. Thomas Lilti, anciennement médecin, adapte là son film Hippocrate, sorti en 2014, mais aussi réaliste qu’y soit le quotidien hospitalier, prédominent, en réalité, la force des personnages et leur interprétation.

De jeunes internes se retrouvent livrés à eux-mêmes, dans le service de médecine générale, le jour où leurs médecins-chefs se voient mis en quarantaine à l’extérieur de l’hôpital en raison d’une possible contamination par un malade. Emmenés par la plus expérimentée d’entre eux (Louise Bourgoin, excellente), et secondés par un interne plus âgé spécialisé dans les autopsies (Karim Leklou, lui aussi bluffant), ces tout jeunes praticiens inexpérimentés vont faire corps avec leur service, les soignant(e)s qui y travaillent au quotidien ainsi que les patients de passage.

Plus encore que l’hôpital et les vertus de la réalisation dans des espaces pourtant très contraints, ce sont ces jeunes personnages, leur profonde humanité et la justesse du propos qui restent en mémoire.

« Hippocrate », série créée et réalisée par Thomas Lilti. Avec Louise Bourgoin, Karim Leklou, Alice Balaïdi, Zacharie Chasseriaud (France, 8 x 52 min). Sur Mycanal.fr

« Irresponsable », du rythme et de l’humour

Irresponsable, saison 2 inédite en février sur OCS
Durée : 00:54

Julien (l’irrésistible Sébastien Chassagne), la petite trentaine encore proche de la pré-adolescence risque-tout, revient vivre chez sa mère, dans la banlieue parisienne. Le temps de chercher un petit boulot qui lui laisse tout de même le loisir de fumer ses pétards. Par hasard, il retombe sur Marie, qui avait quitté précipitamment le lycée sans plus jamais donner de nouvelles, alors que les deux ados venaient de faire l’amour ensemble. Julien apprend alors qu’elle a un fils, Jacques, 15 ans… dont il est le père.

Comment devient-on un père, quand on a déjà du mal à être un fils ? Ça veut dire quoi, en fait, « être père » ? Quelles preuves en donner, face à un ado moins « branleur » que soi-même ? Et comment « récupérer » la maman de son fils, que l’on aime toujours ?

Sans parier sur une suite de sketchs mais sur un scénario de dix épisodes, le créateur d’Irresponsable, Frédéric Rosset, avait écrit avec sa sœur Camille, en 2016, une première saison tout en grâce et en burlesque, tendre à l’égard de ses personnages et sans fausse note dans son versant comique.

La deuxième saison maintient le rythme et l’humour de la première, y ajoutant même de nouveaux et beaux personnages, ainsi que deux ou trois scènes très émouvantes, alors que les enjeux, pour Julien, sont demeurés les mêmes. Englué dans le « glandisme » et toujours en recherche de paternité, il n’a pas vraiment changé, en dépit d’efforts méritoires. Une troisième saison est prévue, qui doit être la dernière.

« Irresponsable », saison 2, série créée par Frédéric Rosset. Avec Sébastien Chassagne, Théo Fernandez, Marie Kauffmann, Nathalie Cerda (France, 10 × 26 min). Sur Ocs Go