Le Slovène Luka Doncic, face à Stephen Curry, incarne le virage international de la NBA. / RICHARD W.RODRIGUEZ / AP

Fragiles, pas assez athlétiques, sans mental… en un mot, « soft ». Longtemps, les joueurs de basket ne s’étant pas donné la peine de naître aux Etats-Unis jouissaient d’une réputation peu flatteuse en NBA. Dans une ligue érigeant des statues aux individualités, l’écart entre l’Europe et les Etats-Unis a longtemps semblé plus large que l’océan Atlantique. Mais la place des joueurs européens en NBA se consolide.

Cette année, les performances du Grec Antetokounmpo – plus simplement appelé « Giannis » outre-Atlantique – avec les Milwaukee Bucks et celles du Serbe Nikola Jokic avec Denver en font des candidats sérieux au trophée de MVP (Most Valuable Player, meilleur joueur de la saison). Et une tornade slovène s’est abattue sur la ligue. Luka Doncic, meilleur joueur de l’Euroligue et du championnat espagnol à 18 ans l’an passé, s’impose depuis le début de la saison comme le leader des Dallas Mavericks, au relais d’un autre Européen mythique, Dirk Nowitzki – sacré MVP de la saison 2007 et des finales NBA en 2011. Son ancien sélectionneur avec la Slovénie, le Serbe Igor Kokoskov, a abattu une autre barrière en devenant, cet été, le premier entraîneur européen aux commandes d’une franchise, les Phoenix Suns.

« C’est génial de voir des équipes prêtes à parier sur un joueur international plutôt qu’un talent national ou local », se félicite Pau Gasol. Légende en Espagne au même titre qu’un Tony Parker en France, le joueur des Spurs a grandement contribué à faire évoluer les mentalités à propos des joueurs étrangers. « Des Giannis Antetokounmpo, Nikola Jokic, Luka Doncic, Bojan Bogdanovic (Indiana Pacers) sont tous des incroyables talents, qui évoluent à haut niveau. Ils n’ont peur de rien. Ils pratiquent le sport qu’ils aiment, contre les meilleurs et prouvent qu’ils sont bons. »

Eloge de la formation européenne

En témoignent les votes pour le prochain All-Star Game. Antetokounmpo, Doncic, Jokic ou encore le Camerounais Joël Embiid sont plébiscités par les fans pour participer au grand raout de la NBA. Et ils le sont pour le niveau qu’ils affichent, bien plus que pour leur nationalité, comme cela a pu être le cas du Chinois Yao Ming ou du Géorgien Zaza Pachulia, dont les compatriotes votaient en masse.

Désormais, des dirigeants NBA assument de prendre la formation européenne en exemple. Après Kobe Bryant, qui a asséné qu’il « n’aurait pas été capable de dribbler et de shooter main gauche » s’il n’avait pas été formé en Italie, où son père jouait, le propriétaire des Dallas Mavericks Mark Cuban s’en est pris au système de formation américain. « Si on envoyait nos meilleurs gamins en Slovénie, la ligue serait mille fois meilleure. Ils apprendraient alors à jouer au basket, alors qu’ici ils apprennent à chambrer et faire des mixtapes. » Une remise en cause des académies, ces « usines à joueurs » pré-universitaires dont le jeu collectif est absent du programme.

Leader des Bucks, Giannis Antetokounmpo (maillot 34), en lice pour le titre de MVP de la saison. / AARON GASH / AP

Même le « King » LeBron James y va de son éloge de la formation européenne, adoubant le rookie slovène en marge d’une rencontre entre ses Lakers et les Mavs. « Les joueurs européens se développent plus rapidement que les Américains. Luka Doncic est professionnel depuis qu’il a 15 ans, donc rien de ce que la NBA propose ne l’intimide. Je n’ai pas l’impression que le jeu NBA soit quelque chose qu’il n’avait pas vu avant. »

Devoir faire ses preuves en permanence

Chez certains, pourtant, les préjugés demeurent. En 2015, les supporteurs des New York Knicks ont reproché à leurs dirigeants le choix du Letton Kristaps Porzingis en quatrième position de la draft – la sélection des meilleurs jeunes joueurs. Porzingis s’est rapidement imposé comme le pilier de la franchise new-yorkaise.

« Quand on est un joueur européen qui débarque en NBA, il faut en permanence faire ses preuves », juge aujourd’hui le meneur tchèque des Washington Wizards, Tomas Satoransky, qui a franchi le pas et l’Atlantique en 2016. « Ce qu’on a fait en EuroLeague ne compte pas, et il en va de même pour Luka “l’Unique” Doncic. Il a dû faire ses preuves lors des premiers matchs. Mais, pour certains joueurs, ça prend du temps, et c’est très dur mentalement, surtout les premières années quand on a été habitué à jouer en Europe et qu’on sait ce qu’on peut apporter. » A l’instar de Boris Diaw, qui traînait sa peine à Atlanta avant d’exploser à Phoenix sous les ordres d’un entraîneur le laissant exprimer son jeu, les exemples d’incompréhension mutuelle ne manquent.

« Je n’ai rien contre les joueurs étrangers, mais quand je vois un gars de 18 ans être MVP, j’en conclus qu’il évoluait dans un championnat merdique, a asséné cet été Charles Barkley, ancien joueur reconverti en analyste à la langue bien pendue. Personne à 18 ans ne devrait dominer des adultes. » Citant en exemple Kobe Bryant et Kevin Garnett, légendes qui « ont eu des difficultés » à leur arrivée en NBA à 18 ans, le trublion du basket refusait de croire au potentiel de Luka Doncic.

Crainte du fiasco

Ces doutes sur le niveau des compétitions étrangères ont poussé trois équipes à passer leur tour sur le prodige slovène. Trois general managers plus craintifs de la possibilité d’un échec que séduits par un joueur capable de changer le visage de leur franchise. Car chaque nouvel arrivant, Européen de surcroît, porte sur ses épaules les fantômes du passé. De Darko Milicic, sélectionné en seconde position de la draft 2003 juste après LeBron James, à Frédéric Weis, drafté par les Knicks en 1999 et qui ne jouera pas un match en NBA, les fiascos ont été légion en NBA.

Parfois, les Européens se sont montrés incapables de se mettre au niveau exigé par la NBA. Mais les entraîneurs américains, qui mettaient du temps à accorder leur confiance, ont aussi eu leur part de responsabilité. Si l’on met souvent l’accent sur les ratés internationaux de la draft, son histoire est aussi jalonnée de ratés mémorables concernant des joueurs américains.

Grand artisan de l’ouverture de la NBA au reste de la planète, architecte d’une équipe multiculturelle à succès en la personne des Spurs de San Antonio, l’entraîneur Gregg Popovich se réjouit d’avoir été enfin imité.

Et n’oublie jamais, en grand adversaire du président Donald Trump, d’ajouter une réflexion à visée politique : « Cela aide les gens à mieux se comprendre et à se responsabiliser les uns envers les autres. Notre planète est vaste, donc évitons d’être xénophobes. »

Un match à Londres, bientôt un à Paris ?

Habituée à exporter son basket dans différents pays, la NBA faisait escale à Londres, jeudi 17 janvier. Les Washington Wizards se sont imposés face aux New York Knicks dans les ultimes secondes (101-100). En marge de cette rencontre, le patron de la NBA, Adam Silver, a ouvert la porte à l’organisation d’une rencontre de saison régulière à Paris en 2020. « On m’a dit de ne pas faire d’annonce aujourd’hui. Mais oui, nous cherchons très sérieusement à organiser un match à Paris la saison prochaine », a annoncé le commissionner de la NBA. Si de nombreux Français évoluent dans la Ligue nord-américaine, la France n’a pas accueilli de rencontres depuis 2010 et un match de pré-saison.