Jeunes sans abri : « La famille d’origine, même disloquée, reste toujours présente à l’esprit »
Jeunes sans abri : « La famille d’origine, même disloquée, reste toujours présente à l’esprit »
Par Isabelle Rey-Lefebvre
Le sociologue Julien Billion a suivi pendant quatre ans des jeunes sans domicile fixe à Paris et à New York. Il revient sur ce qui les mène à vivre dans la rue et à sortir de cette vie d’errance.
Julien Billion, sociologue, chercheur associé à l’université Paris-Dauphine, a écrit Je ne dors pas à la maison (Champ Social), publié en décembre 2018. Il y rend compte du parcours de vingt jeunes sans domicile qu’il a suivis, à Paris et New York, durant quatre ans, entre 2008 et 2012.
Qu’est-ce qui mène un jeune majeur à vivre à la rue ?
C’est, des deux côtés de l’Atlantique, une histoire familiale chaotique : soit les parents mettent leur enfant à la porte, notamment pour son orientation sexuelle, soit ils l’abandonnent, pour une raison ou une autre. L’absence du père est une constante. Ces jeunes gens ont souvent connu des violences physiques et/ou psychologiques, mais la famille d’origine, même disloquée, reste toujours présente à l’esprit. Ils désirent renouer et tentent des retours mais sont presque toujours déçus. Leur nouvelle famille, ce sont les rencontres dans la rue, des groupes qui s’avèrent à la fois protecteurs et étouffants, voire dangereux.
Quels ressorts leur font quitter leur vie d’errance ?
Souvent les relations, amoureuses ou pas, ne serait-ce que d’un soir, qui leur permettent d’être hébergés. Un jeune à la rue se met en couple avec une jeune fille d’autant plus volontiers qu’il sent qu’il peut se faire héberger dans sa famille. Aux Etats-Unis, sous couvert de protection par des adultes d’âge mûr – les « sugar daddies » ou « sugar mummies » de jeunes filles et garçons – les « sugar babies » –, se développe aussi un phénomène de prostitution pure et simple qui concerne aussi les jeunes sans abri, en particulier dans les milieux LGBT.
Observez-vous des différences entre New York et Paris ?
Je suis d’abord frappé par les ressemblances : ce sont les mêmes blessures familiales, avec peut-être un peu plus de violences physiques, en particulier liées à la toxicomanie, aux Etats-Unis, et plus de violence psychologique et d’alcoolisme en France. Les systèmes d’aide sociale et de protection de l’enfance ont des pratiques communes, comme retirer l’enfant d’une famille maltraitante en conservant un lien avec elle.
Aux Etats-Unis, pour des raisons d’économies, le recours à des tiers familiaux, grands-parents, oncles et tantes, frères et sœurs, est plus fréquent mais pas toujours très durable. L’approche de la scolarité n’est, en revanche, pas la même : en France il existe, dès l’âge de 16 ans, des formations professionnelles et en apprentissage qui mettent le jeune en contact avec la vie professionnelle, ce qui lui procure un statut et assure son autonomie financière. Cela n’existe pas aux Etats-Unis. New York et Paris sont des grandes villes qui fonctionnent jour et nuit et attirent les personnes en rupture de ban. A Paris, où ils ne connaissent rien, ces personnes sont aimantées par certains lieux comme les alentours du Forum des Halles où ils savent qu’ils feront des rencontres.