Canal+ cinéma, samedi 19 janvier à 20 h 50, film

Depuis Mektoub (1997), son premier long-métrage, Nabil Ayouch, né à Paris d’un père marocain et d’une mère tunisienne, installé au Maroc depuis dix ans, n’a cessé de confronter, sans aménité parti­culière et avec un courage certain, son œuvre à la situation socio-politique marocaine. ­Dérive autoritaire, inégalités ­sociales, terrorisme, misère, prostitution, autant de sujets qui ­fâchent et qui rendent la sortie de ses films au Maroc – quand seulement ils sortent – un rien tendue, et sa propre personne, à l’occasion, ouvertement menacée.

Alliance des conservatismes

Razzia ne fait pas exception à la règle, qui brosse entre deux époques significatives (les années 1980, avec l’arabisation à marche forcée et la suppression des ­humanités dans l’enseignement ; les années 2000, avec la généra­lisation dans la sphère ­sociale de cet esprit répressif) l’inflexion tout à la fois nationaliste et ­religieuse que l’Etat donne à sa ­politique. Razzia est, en un mot, l’histoire d’un considérable ­rétrécissement des libertés et des consciences.

Construit entre deux dates, le récit aménage des réminiscences narratives qui mènent de l’une à l’autre, mais reste ­fondamenta­lement un film choral, qui dresse le portrait de cinq personnages isolés illustrant, à des titres divers, l’ostracisation à l’œuvre dans la société marocaine.

Un instituteur enseignant en berbère dans un village de montagne, que l’on oblige à abandonner sa langue et à renoncer à l’enseignement de certaines matières. Une belle femme enceinte qui ne reste qu’un objet de soumission pour son mari. Une jeune fille très riche délaissée par ses parents et coupée des réalités de son pays. Un restaurateur juif et son vieux père, témoin d’une époque plus propice à la cohabitation. Un jeune homosexuel, fan de Freddie Mercury, qui souffre du mépris de son père. La simple énumération de cette trame fragmentée, nouée en patchwork, associée à la volonté de mettre chaque personnage en situation conflictuelle, donne une idée de la gageure cinématographique. De fait, le risque de l’effilochage menace constamment. Il n’en reste pas moins que le film parvient à montrer le ­découplage entre espace privé et espace public sur la scène de la société marocaine, le premier se réduisant à mesure que le ­second étend, avec de plus en plus de brutalité, sa juridiction.

RAZZIA de Nabil Ayouch - Bande annonce
Durée : 01:52

Razzia, de Nabil Ayouch. Avec Maryam Touzani, Arieh Worthalter, Abdelilah Rachid (Fr.-Bel.-Mar., 2018, 115 min). www.mycanal.fr/cinema/razzia