Que peut-on bien écrire à propos d’un jeu sur lequel on a passé, depuis le début de l’année 2018, à peu près cinq cents heures ? Qu’on l’adore, bien sûr ! Il faudrait atteindre un degré de masochisme inouï pour s’infliger un tel nombre de parties de Slay the Spire – petit jeu indépendant lancé sur PC il y a près d’un an en early access (accès rapide) et qui sort officiellement mercredi 23 janvier – sans en être totalement fan.

Mais on peut tout aussi bien écrire qu’on le hait ; les deux options n’étant pas incompatibles.

Chaque ennemi vaincu vous permet d’ajouter une nouvelle carte à votre paquet. / « Slay the Spire »

Au temps béni du printemps, alors qu’on n’alignait encore que cent heures de jeu, Slay the Spire avait gardé l’attrait de la nouveauté. On choisissait son personnage, avant de se lancer dans l’escalade de cette tour pleine de mystère, où chaque ennemi vaincu vous permet d’ajouter une nouvelle carte à votre deck (jeu), qui s’améliore ainsi au fur et à mesure. Ce qui permet d’affronter des ennemis et des boss toujours plus retors, bien aidé par des reliques – des trésors obtenus après avoir battu les ennemis les plus puissants.

Conscients que la formule s’essoufflait à la longue, les développeurs ont ajouté peu à peu de nouvelles options

Bien sûr, après toutes ces parties passées à tester toutes les stratégies possibles, à affiner ses choix de cartes en fonction de l’archétype que l’on souhaitait perfectionner, Slay the Spire était « fini » depuis longtemps. Le tableau des succès de la plate-forme Steam en était la preuve : tous les boss du jeu avaient été battus, toutes les reliques trouvées. Toutes les stratégies gagnantes avaient été dûment explorées, comparées, testées, mesurées. Le deck invincible du Silencieux, qui gagne au premier tour à tous les coups, ne présentait plus le même attrait jouissif que la première fois, lorsqu’on découvre subitement que oui, la belle mécanique, que l’on cherche à mettre en place depuis une heure, fonctionne.

Sans doute conscients que leur formule s’essoufflait à la longue, les développeurs du jeu ont alors entrepris d’ajouter petit à petit de nouvelles options : un nouveau personnage amusant à incarner, aux mécanismes intelligents, et un mode « ascension », avec des ennemis boostés et des handicaps pour le joueur. Les premiers niveaux se corsaient à peine, mais à partir du niveau 5, les choses sérieuses commençaient. L’erreur n’était plus permise ; pas question de la jouer cool, un œil sur l’écran et l’autre sur une série télé. Il fallait la concentration maximale, être prêt à s’adapter, à changer de stratégie si une nouvelle relique changeait la donne.

Vingt niveaux, c’est au moins cinq de trop

Chacun des trois personnages jouables propose des stratégies très différentes pour la victoire. / « Slay the Spire »

Et surtout, il fallait du temps. Slay the Spire proposait d’abord quinze niveaux d’ascension ; les développeurs en ajoutèrent cinq une semaine après que l’auteur de ces lignes eut fini le quinzième. Pour chaque niveau, un génie chanceux aura besoin d’une petite heure ; les moins doués et moins chanceux d’entre nous devront s’y reprendre à trois, cinq, vingt, cinquante fois avant de passer les derniers niveaux, particulièrement vachards et dont la difficulté confine parfois à l’absurde.

C’est là que se pose, dans sa pleine beauté, la question de l’addiction, et que l’intérêt, voire l’affection laissent place à la haine.

On s’accroche, en maudissant le hasard, le jeu, les cartes, les choix passés

Que ressentir d’autre, lorsque après trente-cinq minutes d’un run (cycle) parfait, vous découvrez que le boss final que vous allez affronter est justement celui dont le pouvoir contrecarre totalement l’archétype de deck que vous avez choisi ? Qu’il y avait une chance sur trois pour que vous perdiez instantanément la partie, alors que, pour une fois, vous la sentiez bien, cette ascension niveau 20 qui vous résiste depuis quinze heures de jeu ? Que ressentir d’autre, lorsque après vous avoir offert dès le début de partie une relique particulièrement puissante, le jeu semble prendre un malin plaisir à ne vous proposer que des cartes qui n’ont aucune synergie avec elle ? Ou quand l’une de vos orbes, qui frappe aléatoirement un adversaire à la fin du tour, égratigne l’ennemi encore en pleine santé au lieu d’achever celui, mourant, qui s’apprête à vous infliger de lourds dégâts ?

Pourtant, on s’accroche. En maudissant le hasard, le jeu, les cartes, les choix passés. Et l’on continue, jusqu’à obtenir ce saint Graal : le succès de l’« ascension » niveau 20. Deux lignes et un dessin, sur votre compte Steam, qui vous emplissent de satisfaction – avant de laisser place à un vide. Tel un alpiniste parvenu au sommet de l’Everest, on se retrouve sans nouveaux sommets à gravir. Il y a comme une absence, une sensation d’inachevé. On continue de faire une petite partie de temps à autre, juste pour garder le rythme, mais le cœur n’y est plus.

Extrait du dossier psychiatrique de l’auteur du test. / « Slay the Spire »

Jusqu’à ce jour, de la mi-novembre, où les développeurs ajoutent un quatrième étage à la tour, avec un nouveau boss final impossible. Et quatre nouveaux succès à débloquer. Ce jour-là, il n’y eut plus que deux options : chausser de nouveaux ses gants, tel Rocky Balboa sortant de sa retraite ; ou désinstaller Slay the Spire.

L’auteur de ce test a choisi la deuxième solution. Sans rancune, et sans oublier toutes les heures de plaisir que peut procurer ce qui reste le meilleur mélange de rogue-like et de jeu de deckbuilding existant. Avant, évidemment, de faire marche arrière quelques jours plus tard, et de réinstaller le jeu pour partir à nouveau à la conquête de la tour. Va, Slay the Spire, je ne te hais point.

L’avis de Pixels :

On a aimé :

  • la richesse des stratégies possibles, la variété des ennemis ;
  • les différents modes de jeu, bien conçus ;
  • la durée de vie.

On a moins aimé :

  • un peu trop d’aléatoire ;
  • une profusion de défis, alors qu’on aurait préféré plus de personnages à incarner ;
  • trop addictif.

C’est pour vous si :

  • vous adorez les jeux de draft ;
  • vous êtes un tantinet obsessionnel ;
  • vous êtes capable de consacrer 450 heures à un jeu.

Ça n’est pas pour vous si :

  • vous « rage-quitte » dès que vous avez l’impression que le sort s’acharne contre vous ;
  • vous avez absolument besoin de collecter TOUS les succès Steam d’un jeu pour dormir la nuit.

La note de Pixels :

450 heures de jeu/500.