Renault : les quatre chantiers prioritaires du futur tandem Senard-Bolloré
Renault : les quatre chantiers prioritaires du futur tandem Senard-Bolloré
LE MONDE ECONOMIE
La nouvelle direction du constructeur automobile français, à qui il reviendra de tourner la page Carlos Ghosn, devra rétablir la confiance avec son partenaire japonais Nissan.
Infographie Le Monde
Sauf coup de théâtre, c’est un tandem qui dirigera le premier groupe automobile français. Le conseil d’administration de Renault a été convoqué, jeudi 24 janvier, dans la matinée, pour désigner un successeur à Carlos Ghosn, détenu au Japon depuis le 19 novembre 2018. Selon l’agence Reuters, le comité des nominations du conseil a proposé les noms de Jean-Dominique Senard, actuel président de Michelin, et Thierry Bolloré, directeur général adjoint de Renault, qui a assuré l’intérim pendant la vacance de M. Ghosn.
L’Etat, premier actionnaire de Renault, avec 15,01 % du capital et 22 % des droits de vote, est derrière ce choix d’une direction bicéphale. Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, a déclaré, mardi 22 janvier, que M. Senard « ferait un excellent président de Renault ». Et de rappeler le rôle de chacun : « Le président s’occupe de la stratégie de long terme, le directeur général de l’entreprise au jour le jour. » Dès le vendredi 25 janvier au matin, la paire de dirigeants va devoir se mettre au travail. Et elle n’en manque pas.
- Renforcer et pérenniser l’Alliance
Fixée mardi 22 janvier, par Bruno Le Maire, la feuille de route de M. Senard est claire : « Nous souhaitons que le prochain président ait pour priorité absolue le renforcement de l’alliance et, du coup, prenne contact avec les autorités japonaises. » L’ensemble Renault-Nissan-Mitsubishi, première entité automobile mondiale, avec 10,6 millions de véhicules vendus en 2017, ne tenait jusqu’ici que par la personne de Carlos Ghosn, à la fois président des trois entreprises ainsi que de Renault-Nissan BV (RNBV), société de droit néerlandais constituant l’entité juridique de l’alliance.
Quelques mois avant son arrestation, M. Ghosn était en train de mettre la touche finale à un projet de fusion qui aurait assuré la pérennité du partenariat après son départ. Tout est à rebâtir, à commencer par la confiance avec les Japonais. Du côté de Nissan, on n’est pas forcément fermé à un resserrement des liens capitalistiques entre les deux entités. Mais l’un des préalables est probablement d’évincer ce qui reste du clan de l’ancien patron.
Subsistent des questions de fond. Faut-il rééquilibrer les liens capitalistiques, comme le demandent plus ou moins formellement les Japonais, qui n’ont jamais vraiment digéré le fait que Renault possède 43,4 % des actions Nissan, quand le groupe de Yokohama ne détient que 15 % du français ? M. Senard sera-t-il le président de RNBV, comme l’était Carlos Ghosn ? Les décisions prises au sommet de cette société sont avant tout opérationnelles. Or, l’opérationnel, c’est Thierry Bolloré.
- Reprendre la main sur la gouvernance
En la matière, M. Senard a du pain sur la planche. Carlos Ghosn, qui verrouillait tous les niveaux de son entreprise, a éliminé progressivement toute instance de contre-pouvoir. La première à pâtir de cette situation pourrait être la « numéro un bis » de Renault, Mouna Sepehri, une juriste fidèle de l’ancien PDG, qui dirigeait le « bureau du président ». Dans les couloirs de Renault, beaucoup espèrent son départ pour passer enfin à une nouvelle étape, tant elle compte d’ennemis dans la maison. « Ce qui est sûr, c’est que l’entreprise a besoin d’apaisement, de confiance et d’unité en interne », juge Bruno Azière, délégué central CFE-CGC, le premier syndicat de Renault en France.
Outre Mme Sepehri, le nouvel homme fort devra s’intéresser de près au conseil d’administration, largement à la main de M. Ghosn, car il « ne faisait pas du tout son travail », confirment plusieurs observateurs. Tout le monde conserve en mémoire la décision de maintenir la rémunération prévue de son patron, malgré le refus de l’assemblée générale, en 2015. « Pour faire fonctionner un conseil d’administration, il suffit de quelques personnes de poids qui n’hésitent pas à porter la contradiction à son ou à ses dirigeants, confie au Monde un expert du monde des affaires. Chez Renault, personne ne remplit ce rôle-là. »
- Assurer la continuité opérationnelle
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C’est là, d’abord, le travail de Thierry Bolloré. Tâche dont il s’est d’ailleurs acquitté pendant cette période complexe de transition, alors que les synergies industrielles impliquent des contacts quotidiens entre les équipes de Renault et de Nissan. « Aucune réunion de travail n’a été annulée depuis le 19 novembre [2018], y compris au plus haut niveau entre Thierry Bolloré et Hiroto Saikawa, son homologue chez Nissan, assure un cadre de l’entreprise au losange. Même si, dans les esprits, ce n’était pas toujours simple. »
Sur ce terrain, les équipes disposent d’une boussole : le plan stratégique 2022, qui prévoit un chiffre d’affaires à 70 milliards d’euros, une marge opérationnelle supérieure à 7 % et plus de 4 milliards d’euros d’économies grâce aux synergies de coûts. Atteindre ces résultats implique une très forte intégration des capacités industrielles de Renault et de ses partenaires japonais et, donc, une totale confiance entre les cadres des trois entreprises.
- Affronter les risques de marché
L’affaire Ghosn a éclaté au plus mauvais moment : les vents contraires et les défis s’accumulent sur la planète automobile. Conséquence immédiate : l’apport crucial du partenaire Nissan dans les comptes de Renault a été réduit en 2018. La Chine, devenue quatrième pays de Renault en termes de ventes, inquiète également les dirigeants du losange. En Europe, si les résultats sont plutôt bons grâce à Dacia et à Lada (en Russie), la marque Renault subit un recul préoccupant, en particulier sur les voitures de grande taille.
« Mais la grande urgence, pour Renault comme pour tous les constructeurs, c’est la transition énergétique », assure un consultant, qui souhaite rester anonyme. De fait, le passage à la nouvelle norme Worldwide Harmonized Light Vehicle Test Procedure (WLTP), en Europe, a été particulièrement difficile pour les ingénieurs du constructeur, et l’entreprise n’est pas à l’abri d’une amende de plusieurs centaines de millions d’euros pour excès de rejet de CO2 en 2020. Numéro un européen de la voiture électrique, Renault a quelques atouts pour passer l’écueil. Cela demandera une attention de tous les instants du futur duo au pouvoir.