La procédure de sanction contre trois magistrats de la Cour de cassation lancée
La procédure de sanction contre trois magistrats de la Cour de cassation lancée
Par Jean-Baptiste Jacquin
Trois magistrats ne s’étaient pas déportés d’un dossier, en février 2018. Dans cette affaire de conflit d’intérêts, le Conseil supérieur de la magistrature va devoir trancher.
Les membres du nouveau Conseil supérieur de la magistrature (CSM), qui prennent leurs fonctions ces jours-ci, vont trouver en haut de la pile de dossiers qui les attend la délicate affaire de la chambre sociale de la Cour de cassation. La commission d’admission des requêtes, chargée de filtrer les plaintes des justiciables, vient de décider de saisir officiellement le CSM d’une procédure disciplinaire à l’encontre de trois hauts magistrats de la juridiction suprême, a appris au Monde Sylvain Roumier, avocat des plaignants.
Yves Frouin, l’ancien président de la chambre sociale, Jean-Guy Huglo, le doyen de cette chambre, et Laurence Pecaut-Rivolier, conseiller référendaire, risquent des sanctions disciplinaires dans une affaire de conflit d’intérêts révélée par le Canard enchaîné en avril 2018. Ce scandale a déjà coûté à M. Huglo la succession de M. Frouin à la tête de la prestigieuse chambre sociale qui semblait lui être promise tant sa maîtrise de cette matière complexe est unanimement reconnue.
Le problème est que ces techniciens du droit social participent de temps en temps à des colloques et formations organisés par les éditions juridiques Lamy ou le groupe de presse Liaisons sociales. Des prestations rémunérées entre 500 et 1 000 euros net. Or, le 28 février 2018 ils ont été amenés à trancher un conflit qui opposait les syndicats de salariés du groupe Wolters Kluwer France (propriétaire de Lamy et de Liaisons sociales) à leur direction.
Nommer un rapporteur
La haute juridiction a cassé un arrêt de la cour d’appel de Versailles qui avait conclu, dans un sens favorable aux salariés, un différend concernant le calcul de la participation. Leur réputation de rigueur les protège peut-être contre une accusation de partialité dans ce dossier, mais les règles déontologiques auraient dû les amener à se déporter, c’est-à-dire se retirer du dossier. Le comble pour ces magistrats au-dessus de tout soupçon est qu’ils ne s’étaient manifestement même pas posé la question.
Ils ont été entendus à trois reprises, ce qui est rarissime, par les membres du CSM composant cette commission des requêtes, soucieux de ne pas laisser cette patate chaude à leurs successeurs. Il arrive que pour des manquements déontologiques mineurs, la commission estime que l’entretien solennel avec le magistrat mis en cause suffit. Cette seule convocation est souvent vécue comme un déshonneur dans la magistrature. En saisissant le CSM d’une procédure formelle de sanction à l’encontre de ces magistrats, elle signifie que leurs manquements ne lui sont pas apparus secondaires. Le nouveau CSM va devoir nommer un rapporteur pour instruire le dossier avant de tenir une audience, pas avant six à douze mois, pour juger ces juges.
Reste à savoir quels manquements seront au final retenus et sanctionnés. La plainte déposée en juillet par les trois syndicats de Wolters Kluwer (Syndicat national des journalistes, la CFDT et la CGT) retenait la violation des règles déontologiques inhérentes au statut de magistrat, la violation du droit à un procès équitable et impartial et le non-respect des obligations déclaratives.
Dans son tout nouveau « recueil des obligations déontologiques de magistrats » mis en ligne le 16 janvier, le CSM écrit dans au point 23 de son chapitre II consacré à l’impartialité du magistrat : « Il se déporte, sans attendre une éventuelle récusation, chaque fois qu’une situation peut faire naître dans l’esprit des parties ou du public un doute légitime sur son impartialité tenant à l’existence d’un conflit d’intérêts. »