Un tribunal de Kiev a condamné jeudi 24 janvier l’ancien président ukrainien Viktor Ianoukovitch à treize ans de prison pour « haute trahison », au terme d’un procès qui s’est déroulé en son absence.

Selon le tribunal, « par ses actes illégitimes prémédités, M. Ianoukovitch [président de l’Ukraine entre 2010 et 2014] a commis un crime sapant les fondements de la sécurité nationale ukrainienne (…) », à savoir « une haute trahison », a précisé le juge.

L’avocat de Viktor Ianoukovitch a aussitôt annoncé son intention de faire appel de cette condamnation.

Elu président de l’Ukraine en février 2010, M. Ianoukovitch avait fui en février 2014 à Rostov-sur-le-Don, dans le sud de la Russie, après plusieurs semaines d’une contestation pro-européenne à Kiev réprimée dans le sang. Il avait été destitué le 22 février 2014 par le Parlement. Le président russe Vladimir Poutine a par la suite révélé que cette fuite avait été rendue possible grâce à une opération spéciale élaborée à Moscou et destinée à exfiltrer Viktor Ianoukovitch.

Appel à l’armée russe

L’ex-président ukrainien a été accusé de « haute trahison » en Ukraine pour avoir notamment demandé à M. Poutine d’envoyer des troupes russes en Ukraine après sa fuite en Russie.

L’accusation se fondait principalement sur un document, une « adresse » envoyée à Vladimir Poutine le 1er mars 2014 dans laquelle Viktor Ianoukovitch, quelques jours après sa destitution, demandait « l’utilisation des forces armées de la Fédération de Russie (…) dans le but de rétablir l’ordre constitutionnel et la stabilité ainsi que de défendre la population ukrainienne ».

Moscou avait voulu aider son protégé, en répondant à la justice ukrainienne n’avoir jamais reçu la missive de M. Ianoukovitch. Pourtant, le 3 mars 2014, l’ambassadeur russe aux Nations unies, Vitali Tchourkine, l’avait brandie, et elle a été versée aux archives de l’organisation.

Répression sanglante

Outre ce procès pour haute trahison, nombre d’Ukrainiens attendaient que justice soit rendue à la centaine de morts de Maïdan. La contestation pro-européenne qui avait pris forme sur cette place centrale de Kiev le 21 novembre 2013 s’était terminée trois mois plus tard, après une sanglante répression et la mort d’une centaine de manifestants et d’une vingtaine de policiers dans des affrontements.

L’arrivée des pro-européens au pouvoir a été suivie par l’annexion en mars 2014 de la péninsule de Crimée par la Russie, et par le déclenchement d’un conflit avec des séparatistes prorusses dans l’est du pays qui a fait à ce jour plus de 10 000 morts.

Détournements

Pour beaucoup, les années Ianoukovitch restent surtout associées à la prédation économique organisée au sommet de l’Etat et à la corruption. Les estimations de détournement varient de 10 à 40 milliards d’euros. Plusieurs enquêtes sur M. Ianoukovitch ont été ouvertes depuis 2014, mais aucune n’a encore abouti à une condamnation.

« Juger Ianoukovitch dans des dossiers de corruption impliquerait d’enquêter sérieusement sur des gens qui sont encore là et qui sont parfois devenus des soutiens du nouveau pouvoir », expliquait au Monde Daria Kaleniouk, de l’ONG Centre d’action contre la corruption, lors de l’ouverture du procès de Ianoukovitch pour « haute trahison », à l’été 2017. Ceux-ci se retrouvent principalement au sein du Bloc d’opposition, le successeur du Parti des régions de Viktor Ianoukovitch. Plus encore, la mise au jour des relations troubles entre économie et politique constituerait une menace pour l’ensemble du système ukrainien.

Le combat pour récupérer les fonds volés est tout aussi chaotique. Selon un rapport du Centre d’action contre la corruption, 50 millions d’euros devaient être récupérés en 2015 et remis au budget de l’Etat. Seuls 3 400 euros l’ont été, notamment à cause de la complexité des schémas financiers impliquant des paradis fiscaux. Des gels d’avoirs décidés en 2014 dans plusieurs pays européens ont été levés les uns après les autres, faute d’action côté ukrainien.

Comprendre les origines de la crise en Ukraine en 5 minutes
Durée : 06:24