A Pau, Bayrou se lance dans le grand débat : la « méthode pour sortir des frustrations »
A Pau, Bayrou se lance dans le grand débat : la « méthode pour sortir des frustrations »
Par Patrick Roger (Pau, envoyé spécial)
Le président du MoDem a animé pendant près de six heures, vendredi, la première des cinq réunions qu’il entend consacrer à ce « moment démocratique important ».
Le grand débat national de Pau, au Parc des Expositions, est animé par le maire de la ville François Bayrou. Près de 500 personnes étaient présentes. Le 25 janvier 2019. / SANDRA MEHL POUR "LE MONDE"
S’il en est un qui ne rechigne pas au débat, c’est bien François Bayrou. L’éphémère ministre de la justice d’Emmanuel Macron, aujourd’hui redevenu maire de Pau mais qui parle toujours à l’oreille du président de la République, entend s’engager sans réserve dans cette initiative indispensable à ses yeux pour « reformuler un projet national explicite et à visée internationaliste ». Et c’est avec une sorte de jubilation non feinte qu’il a animé pendant près de six heures, vendredi 25 janvier, dans une salle du parc des expositions de sa ville, la première des cinq réunions qu’il entend consacrer à ce « moment démocratique important ».
Pour le triple candidat à l’élection présidentielle (2002, 2007, 2012), avec qui Le Monde s’est entretenu, la crise des « gilets jaunes », « c’est une frustration, des frustrations qui fermentent depuis trente ans et qui procèdent de deux grandes causes, sociales et démocratiques ».
« Les gens ont le sentiment de ne pas être écoutés et que, quoi qu’ils fassent, on ne les respecte pas, estime le président du MoDem. S’y est ajoutée une frustration récente : les Français ont bien senti, au cours de sa campagne, que Macron avait perçu leurs attentes et leur rage. Et c’était la vérité ! La frustration est d’autant plus grande qu’ils se sont aperçus que, sitôt l’élection passée, on en revenait aux chemins les plus battus. »
Ce n’est pas un hasard si, dès le mois de septembre 2018, lors de l’université de rentrée de son mouvement, M. Bayrou plaidait ardemment pour que le président de la République revînt au contact direct des Français.
« La nécessité de l’explication »
« Nous avons une double exigence de reconnaissance de ces frustrations et de leurs causes et d’un projet pour y répondre, poursuit-il. Ce grand débat, c’est la méthode pour en sortir. Si l’on veut que la politique réussisse, il est impératif de ne pas être en rupture avec le pays. Quand le gouvernement perd l’assentiment du pays, le pouvoir est paralysé. » Est-ce le cas ? Et, à l’issue de cette période de débat, cela doit-il se traduire par un changement d’équipe gouvernementale, à commencer par son chef ? « Il faudra évidemment qu’il y ait un changement perceptible », estime le maire de Pau, qui ne cache pas avoir « quelques distances avec la manière dont on a gouverné dans les derniers mois ».
Il estime notamment que, « dans l’équilibre nécessaire entre efficacité et justice, la justice a été trop oubliée ». Tant sur la suppression de l’ISF, la hausse de la CSG ou l’augmentation du prix du carburant, le président du MoDem n’a pas hésité, à plusieurs reprises, à faire part publiquement de ses mises en garde. Il juge en outre que le gouvernement n’a pas pris convenablement la mesure de la situation. « Quand le mouvement est né, on a tardé à apporter des réponses, on n’a pas saisi tout de suite la dimension de ce qui venait, déplore-t-il. Le grand débat, c’est la reconnaissance de la nécessité de l’explication, en tenant compte à la fois des attentes et des réalités. »
Condensé de demandes de justice
Le grand débat national de Pau, au Parc des Expositions, le 25 janvier. / SANDRA MEHL POUR "LE MONDE"
Près de cinq cents personnes ont pris place dans le hall Aragon lorsque débute, à 18 heures, cette grande « explication ». Dont des « gilets jaunes » venus en nombre qui, eux, doutent fortement de son utilité. « Pour nous, ce n’est pas un vrai débat, estime Séverine, enseignante. [Emmanuel Macron] fait son débat à lui mais, en fait, il fait sa campagne sur notre dos. » Leur porte-parole désigné par l’« assemblée générale du Grand Pont » demande d’entrée de jeu la parole pour lire une déclaration dénonçant « une mascarade et une parodie de démocratie ». « C’est un débat décidé par le haut et qui retournera vers le haut, une énorme opération de communication pour enfumer les Français avec l’aide des médias, des éditorialistes et des sondages d’opinion », poursuit-il sous les applaudissements de ses camarades tandis que quelques mouvements de protestation parcourent la salle.
Malgré cette entrée en matière rugueuse, le débat se prolongera jusqu’à épuisement de toutes les questions, nombre d’intervenants soulignant, sans nécessairement se déclarer en accord avec les « gilets jaunes », qu’un tel échange n’aurait pu avoir lieu sans leur mouvement et leur en donnant crédit. Cette séance est aussi et surtout l’occasion, pour des personnes peu habituées à prendre la parole en public, d’exposer des situations parfois tragiques ou aberrantes. C’est un condensé de précarité, de détresse, de demandes de justice et d’attentes que les choses bougent en profondeur qui trouve là à s’exprimer, sans filtre et sans ménagement. Comment y répondre ? C’est une autre paire de manches.