L’arbitrage vidéo, les « clochards » et les pleurnicheurs
L’arbitrage vidéo, les « clochards » et les pleurnicheurs
Par Alexandre Pedro
En place depuis cette saison, la VAR est loin d’avoir mis fin aux lamentations des différents acteurs du championnat de France à propos de l’arbitrage, estime notre journaliste, Alexandre Pedro.
Chronique. On nous promettait le meilleur des mondes. Finies protestations et polémiques, finis les « On n’est pas arbitré comme les autres », lâchés par des entraîneurs au bord de la crise de nerfs. Finis ces débats de comptoir à propos d’un penalty oublié ou d’un hors-jeu imaginaire. Avec l’arrivée de l’assistance à l’arbitrage vidéo, la Ligue 1 allait enfin connaître la paix des ménages et les arbitres diriger les rencontres avec sérénité grâce au soutien infaillible de la technologie. Et même les anti-vidéo (dont fait partie l’auteur de cette chronique) étaient promis à muer en convertis zélés.
Mais cinq mois après son instauration dans le championnat de France, la VAR (pour l’acronyme anglais de video assistant referee) est devenue un objet de passion, de discorde et alimente le feuilleton d’une Ligue 1 en mal de suspense (SPOILER : le PSG sera champion de France en fin de saison).
Litanie de plaintes
La 22e journée a débuté et s’est terminée avec des joueurs, entraîneurs, dirigeants, supporteurs ou « twittos » remontés contre des décisions découlant de la VAR.
Vendredi, l’Oympique de Marseille a noyé sa nouvelle défaite contre Lille (2-1) dans un verre de polémique. La faute à un but refusé d’entrée de match pour un hors-jeu de position de l’infortuné Kostas Mitroglou. La faute à un penalty concédé (après appel à la vidéo) par Luiz Gustavo pas loin de séparer en deux le tibia du Lillois Celik sur son tacle. La faute, enfin, à une semelle de Florian Thauvin trop appuyée sur Youssouf Koné.
Sans hésiter et sans demander l’aide de la VAR - ce qui est son droit - l’arbitre, Amaury Delerue a expulsé l’attaquant. Sur le chemin du retour au vestiaire, Thauvin a profité de la présence d’une caméra pour vider son sac à chaud : « La VAR, c’est que quand ça les arrange (…) Bande de clochards… ».
Interrogé sur cette décision en conférence de presse, Rudi Garcia a renvoyé la question pour mieux y répondre sans attaquer frontalement l’arbitre. « Je ne veux pas du tout parler d’arbitrage. Revoyez les images, si vous me dites qu’il y a carton rouge, alors je m’incline… », a déclaré l’entraîneur de l’OM.
Olympique de Marseille - LOSC ( 1-2 ) - Résumé - (OM - LOSC) / 2018-19
Durée : 04:07
Dérivatif
Pas de chance pour ce défenseur invétéré de la vidéo, la saison la plus pénible de sa carrière d’entraîneur correspond avec son instauration. Avec le VAR, on allait voir ce qu’on allait voir promettait Garcia. Fini les injustices, qui, bien sûr, touchaient d’abord son équipe.
« Bruno Génésio devrait surtout bénir qu’il n’y ait pas l’assistance vidéo cette saison parce que sinon il serait 4e et décroché », lançait-il en fin de saison dernière à propos de son confrère lyonnais, qui avait eu le malheur de lui ravir la 3e place du championnat, qualificative en Ligue des champions.
Bref, quand les résultats ne sont pas là, quand votre autorité est contestée, l’arbitrage reste le meilleur dérivatif à vos problèmes. Et qu’il soit assisté par la technologie ne change pas grand-chose. La salle de conférence de presse ou la zone mixte (où se croisent joueurs, staff et journalistes) serviront toujours de bureau des plaintes.
Mais les Marseillais n’ont pas le monopole de la complainte. Pourtant moins touché par les problèmes de résultats, le PSG aussi a quelques griefs à signifier. Dimanche soir, Paris a écrasé Rennes (4-1) mais a bien failli perdre son défenseur, Thilo Kehrer, découpé par M’Baye Niang.
L’arbitre Karim Abed a donné un simple carton jaune et n’a pas souhaité faire appel à la vidéo. Le PSG a posté la vidéo de l’action sur son compte Twitter avec cette question : « Rouge ? Pas rouges ». Pour un résultat sans appel bien sûr pour le peuple souverain mais sans doute un peu partisan (à 91 % en faveur de l’expulsion). Lundi, l’arbitre a reconnu qu’il aurait dû exclure M’Baye Niang.
A Bordeaux, le community manager des Girondins avait, lui, livré le fond de sa pensée après un penalty litigieux concédé contre Nice le 12 janvier. « L’arbitre confirme le penalty. La VAR est une immense escroquerie. » Le même jour, Amiens criait au scandale après un penalty pour le PSG et les Nantais en réclamaient un face à Rennes.
Mauvaise foi et aveuglement partisan appartiennent au folklore
A chaque fois avec le même motif de colère : mais pourquoi l’arbitre n’a-t-il pas fait appel à la vidéo ? « L’arbitre n’a pas écouté le capitaine qui demandait de regarder la VAR et c’est un manque de respect vis-à-vis du club », pestait Vahid Halilhodzic.
L’entraîneur du FC Nantes comme d’autres entraîneurs - mais aussi les présidents et joueurs - oublient juste qu’un arbitre vidéo est présent dans un car-régie pour indiquer à l’arbitre de terrain s’il y a lieu de consulter les images ou pas.
Mais, même dans le cas où la VAR est sollicitée, on arrive encore à contester l’incontestable. Dans le cas d’action de Luiz Gustavo, vendredi face à Lille, prétendre que le Brésilien « joue le ballon », c’est comme nier que le maillot de l’OM était blanc ce soir-là.
On peut le regretter, rêver d’un football plus respectueux, mais la mauvaise foi et l’aveuglement partisan appartiennent aussi à son folklore. La VAR n’y changera rien. Il existera toujours des entraîneurs fragilisés, des présidents mécontents et des joueurs qui, promis, « jouent le ballon »…
L’arbitrage vidéo « n’est pas une science exacte, ça reste des hommes qui lisent des écrans donc voilà, des fois c’est pour nous, des fois contre nous. » Une phrase frappée d’un certain bon sens et prononcée par… Rudi Garcia le 20 janvier. Ce jour-là, l’OM avait dominé Caen malgré un penalty peut-être oublié sur Florian Thauvin. En Ligue 1, la victoire aide parfois à prendre un peu de hauteur de vue.