Au Cameroun, la colère des partisans de Maurice Kamto, le premier opposant du pays arrêté
Au Cameroun, la colère des partisans de Maurice Kamto, le premier opposant du pays arrêté
Par Josiane Kouagheu (Douala, correspondance)
Le candidat malheureux à la prédidentielle d’octobre 2018 revendique toujours sa victoire. Plusieurs manifestations ont lieu, suivis d’une centaine d’arrestations.
Maurice Kamto, président du Mouvement de la renaissance du Cameroun (MRC) au lendemain de la présidentielle du 7 octobre 2018, annonce sa victoire. Deux semaines plus tard, le Conseil constitutionnel déclarera Paul Biya, 85 ans, dont trente-six ans au pouvoir, vainqueur du scrutin. / Zohra Bensemra / REUTERS
Clovis* a passé la « pire » nuit de son existence, lundi 28 janvier. Ce propriétaire d’une dizaine de taxis à Douala, capitale économique du Cameroun, a « vu des policiers armés partir avec le président Maurice Kamto ». La voix encore enrouée d’émotion, l’homme s’excuse presque : « Je n’ai rien pu y faire. Nous étions nombreux. Nous avons crié. Ils ont tiré des balles en l’air et nous ont poursuivis. Finalement, ils sont partis avec lui. Ce n’est pas normal ! On se battra jusqu’à la fin et jusqu’au sang pour lui », ajoute le quarantenaire, déterminé.
Quarante-huit heures après l’arrestation de Maurice Kamto, premier opposant du Cameroun et candidat malheureux de la présidentielle du 7 octobre 2018, la colère gronde au sein des militants du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), orphelins de leur leader et sans nouvelles de lui.
« Droits bafoués »
« On ne sait pas si on l’a battu, s’il est en bonne santé. C’est vraiment frustrant et énervant. On est pourtant dans une République où chaque individu a des droits. On ne se laissera pas faire », prévient aussi Stanley*, 33 ans, infirmier.
Lundi, vers 19 heures, Maurice Kamto a été arrêté au domicile d’Albert Ndzongang l’un de ses soutiens, lui aussi interpellé à Douala. Son conseiller Christian Penda Ekoka, ainsi que plusieurs autres personnes parmi lesquelles Théodore Tchopa et David Eyengue, deux journalistes du quotidien à capitaux privés Le Jour, ont subi le même sort.
Tous ont été conduits à la division régionale de la police judiciaire (PJ) à Douala, avant d’être « emmenés sous très forte escorte policière » de nuit à Yaoundé, la capitale du pays, selon les cadres du MRC. Mardi soir, après des « heures de recherches », Me Emmanuel Simh, vice-président du parti, a annoncé sur les ondes de Radio Bafafon émettant depuis Douala, que « le président Kamto et les personnes arrêtées à Douala et ailleurs sont à la police judiciaire ».
D’après Olivier Bibou Nissack, porte-parole de Maurice Kamto, personne n’a pu rencontrer les personnes arrêtées et dont le nombre reste toujours inconnu, pas même les avocats du président du MRC. « La loi précise pourtant que lorsque vous avez été arrêté, vous avez droit à l’assistance d’un conseil. Ce qui semble bafoué dans notre cas », dénonce Olivier Bibou pour qui Maurice Kamto et les autres ont été arrêtés pour des « motifs politiques ».
Au lendemain du scrutin du présidentiel, Maurice Kamto avait revendiqué sa victoire et saisi le Conseil constitutionnel pour dénoncer les nombreuses fraudes qui avaient à ses yeux entaché le processus électoral. En vain. Le même Conseil avait déclaré deux semaines plus tard Paul Biya, 85 ans, dont trente-six à la tête du pays, vainqueur avec 71,2 % des voix suivi par Maurice Kamto (14,23 % de suffrages). Pour dénoncer ce qu’il qualifie de « hold-up électoral », celui qui se considère comme « président élu du Cameroun », a donc lancé une série de marches pacifiques à travers le pays.
Tirs à balles réelles
Mardi, un communiqué du ministère de la communication a justifié les arrestations en précisant qu’« en dépit du déroulement sans incident de l’élection présidentielle du 7 octobre 2018, des responsables et des militants du parti politique dénommé “Mouvement pour la Renaissance du Cameroun”, en abrégé MRC, ont, dans une démarche insurrectionnelle, appelé les Camerounais de manière récurrente à descendre dans la rue pour en contester les résultats ». Il ajoute que « d’autres militants du même parti » ont « abordé et défié les forces de sécurité dans l’exécution de leurs missions régaliennes de maintien de l’ordre ».
Le 26 janvier, 117 personnes avaient en effet été arrêtées à Yaoundé, à Bafoussam, à Douala et à Mbouda au cours de ces manifestations interdites. Parmi elles, Paul-Eric Kingue, l’ancien directeur de campagne de Maurice Kamto, et le célèbre rappeur pro-Kamto, Valsero. Six personnes avaient été blessées, dont certaines à balles réelles, selon le MRC, notamment le militant Célestin Djamen, arrêté malgré ses blessures, et l’avocate Michelle Ndoki. Ce que réfute le gouvernement camerounais. « Aucun coup de feu à balles réelles n’a été tiré », avait même assuré le ministre de la communication, René Emmanuel Sadi, au cours d’une conférence de presse.
Depuis, la polémique enfle. « Comment expliquer la sortie des forces de sécurité alors qu’il s’agissait seulement d’une manifestation pacifique pour exprimer des points de vue d’un parti politique dans une démocratie ? », s’est étonné le Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale (Redhac), au cours d’un point presse mardi. « Au lieu de prendre des mesures pour améliorer la situation des droits de l’homme dans le pays, nous constatons que les autorités tolèrent de moins en moins les critiques. Cela doit cesser », a regretté pour sa part Samira Daoud, directrice Afrique de l’Ouest et centrale d’Amnesty International. L’ONG demande d’ailleurs la libération « immédiate et sans conditions » de Maurice Kamto.
Pour Kah Walla, présidente nationale du parti d’opposition anglophone Cameroon People’s Party (CPP), en prenant la décision de répondre par « la force et la violence à des problèmes politiques », les dirigeants de « ce régime illégitime renforcent en réalité la détermination de tous ceux et celles qui ont soif de justice et de changement ». De nombreux militants se disent en effet « prêts » à « descendre dans la rue » pour aller « faire libérer le président » et « libérer le Cameroun ».
« Décapiter » le MRC
« Trop c’est trop ! Les gens du pouvoir en place disent que le président [comprendre Maurice Kamto] n’a pas gagné. Mais, c’est faux. Ce pays ne peut plus nous tromper ainsi !, assure Salomon, conducteur de moto-taxi à Yaoundé. Nous n’attendons que le mot d’ordre du directoire du parti », ont réagi des internautes. Le parti les a exhortés au « calme ».
Dans un communiqué paru mardi soir, le ministre de la communication enfonce le clou en annonçant que le « gouvernement entend engager toutes les actions nécessaires au Cameroun et à l’étranger à l’encontre des commanditaires et autres responsables » des saccages des représentations diplomatiques du Cameroun à Berlin et à Paris qui ont lieu ce week-end. René Emmanuel Sadi accuse les « militants » du MRC et déplore ces dégradations commises « faute d’une protection adéquate autour de ses ambassades ».
Le professeur Alain Fogue, trésorier du MRC, interpellé à Yaoundé lundi, est accusé entre autres, de destruction de biens. « C’est assez ahurissant. En ce qui concerne les actions qui se sont déroulées dans les ambassades camerounaises au sein des pays de l’Union européenne ou ailleurs, nous ne sommes en rien, ni de près ni de loin, ni les auteurs, ni les commanditaires, ni les instigateurs », insiste Olivier Bibou Nissack, le porte-parole de M. Kamto. Pour lui comme pour les cadres du parti, l’objectif du pouvoir en place est de « décapiter » le parti.
*Les prénoms ont été changés.