« Fahavalo, Madagascar 1947 » : la mémoire fragmentée d’une insurrection
« Fahavalo, Madagascar 1947 » : la mémoire fragmentée d’une insurrection
Par Thomas Sotinel
Les témoignages des derniers survivants d’un soulèvement noyé dans le sang sont assemblés par la documentariste Marie-Clémence Andriamonta-Paes avec intelligence.
Que reste-t-il d’un événement dont l’existence a été niée au moment même où il survenait ? En 1947, à Madagascar, un soulèvement massif et sanglant de la population contre les colons français et la partie de la population qui les soutenait a fait des centaines de mort. Cette insurrection, les journaux français – dont celui-ci – l’ont condamnée sans appel. De la répression qui l’a suivie, il n’a pas été question, alors qu’elle a été dix ou cent fois plus meurtrière.
La documentariste malgache Marie-Clémence Andriamonta-Paes est partie à la recherche des survivants de la période, aujourd’hui octogénaires ou nonagénaires. Elle a recueilli leurs souvenirs non pas sur le mode de l’enquête, mais à la façon d’une mosaïste qui composerait un tableau incertain, voilé par les brumes de mémoires qui vacillent ou qui ont été fossilisées par la répétition.
Rares images d’archives
Même si l’on apprend l’essentiel de cette histoire en regardant Fahavalo (qui veut dire « ennemi » en malgache), ce ne sont pas tant les combats et les massacres qu’évoque le film que la cicatrice énorme et pourtant cachée qu’ils ont laissée. De très vieux messieurs racontent les exécutions sommaires des insurgés aux mains de troupes coloniales françaises. Ils disent aussi la foi qu’ils avaient dans les sorts que leurs sorciers avaient jetés contre les balles des fusils, et la faiblesse de leurs sagaies face aux armes à feu. Une femme raconte la fuite interminable dans la jungle, la faim et le froid qui se sont alliés aux troupes françaises.
Quelques rares images d’archives semblent n’être là que pour mettre en valeur la beauté de l’île d’aujourd’hui. L’océan et la jungle, les champs et la ville sont filmés avec un amour qui ne leur prête presque aucun défaut. Le rythme qui fait alterner ces plans idylliques et les souvenirs douloureux des survivants finit par produire son effet, qui est clairement exprimé lorsque la réalisatrice filme un monument d’une simplicité et d’une modestie dérisoires quand on le rapporte aux événements qu’il commémore : la beauté est aussi faite d’une souffrance, qu’il faut savoir regarder.
Documentaire français et malgache de Marie-Clémence Andriamonta-Paes (1 h 30). Sur le Web : fahavalo-film.com et www.laterit.fr/index.php?page=fichetech&lg=fr&num_film=101