Le Nigeria, « bombe à retardement » démographique
Le Nigeria, « bombe à retardement » démographique
Le Monde.fr avec AFP
Le pays, qui se prépare à voter le 16 février, devrait voir sa population passer de 190 millions d’habitants en 2018 à 410 millions d’ici à 2050.
Embouteillage à Lagos, capitale économique du Nigeria. / PIUS UTOMI EKPEI / AFP
Son grand-père a eu trois femmes et 22 enfants. Son père, deux épouses et neuf enfants. A 19 ans, Modupe Adegbite a déjà fait ses calculs, elle n’en veut pas plus de quatre : « Pourquoi faire tant d’enfants quand on ne peut pas les nourrir ? »
Modupe est née à Bada, l’un des quartiers les plus pauvres de Lagos, capitale économique du Nigeria. Dans sa ruelle en terre cabossée, les enfants jouent avec des pneus usés ou font la manche devant les voitures arrêtées au feu rouge pour quémander quelques nairas.
L’éducation des femmes et les mariages précoces restent un défi majeur pour le pays le plus peuplé d’Afrique, qui se prépare par ailleurs aux élections générales du 16 février. La forte démographie, combinée avec la pauvreté, un taux de chômage record et des tensions intercommunautaires persistantes, laisse imaginer le pire des scénarios et constitue, pour les démographes les plus alarmistes, une « bombe à retardement ».
« Il y a urgence »
Les chiffres donnent le vertige. Il y avait moins de 38 millions de Nigérians en 1950. Le pays en comptait 190 millions en 2018. L’ONU en prévoit 410 millions d’ici à 2050, et presque le double en 2100, selon les prévisions établies par son département World Population Prospects.
Dans trente ans, le Nigeria deviendra ainsi le troisième pays le plus peuplé de la planète derrière l’Inde et la Chine.
Chose rare, dans le bidonville de Bada, même si les habitants n’ont ni électricité, ni route goudronnée, ils bénéficient d’un centre de planning familial depuis un an.
Pilules, préservatifs et implants hormonaux sont accessibles gratuitement au centre « 9ja Girls », qui fait partie d’un programme de l’ONG Populations Services International pour lutter contre les grossesses non désirées.
« La sexualité commence très tôt ici, quelle que soit la religion. La plupart des filles arrêtent l’école et, à 15 ans, parfois 14, elles sont déjà actives. Alors très vite, elles tombent enceintes », explique à l’AFP l’animatrice Naomi Ali.
Animatrice du centre de planning familial « 9ja Girls » de Bada, bidonville de Lagos, le 11 novembre 2018. / STEFAN HEUNIS / AFP
Méfiantes au départ, adolescentes et jeunes femmes s’y pressent désormais les samedis par centaines pour parler sexualité et relations amoureuses en dehors des tabous familiaux ou se procurer des contraceptifs.
« Ce n’est pas toujours évident, raconte Naomi Ali. Parfois elles croient que la contraception les rendra stériles, parfois ce sont les parents qui ne veulent pas en entendre parler. »
Profondes disparités
Le taux de fécondité au Nigeria est de 5,53 enfants par femme (Banque mondiale, 2016), mais cette moyenne nationale cache de profondes disparités entre les grandes villes comme Lagos et les zones rurales, où il peut atteindre 8 enfants par femme.
« Dans le nord du Nigeria, comme dans toute la région du lac Tchad, si on ne fait rien, nous allons au-devant de gros problèmes, estime Mabingue Ngom, directeur régional du Fonds des Nations unies pour la population basé à Dakar. Il y a urgence ».
« Sur 20 millions de jeunes Africains qui arrivent chaque année sur le marché de l’emploi, 2 ou 3 millions seulement trouvent du travail. C’est ce qui nourrit les conflits et le terrorisme », poursuit M. Ngom, citant l’insurrection djihadiste Boko Haram, née dans la région et enregistrant les plus forts taux de fertilité au monde.
Sur un territoire relativement étroit d’environ 920 000 km2, soit dix fois moins que les Etats-Unis, la pression démographique est déjà source de conflits au Nigeria.
Sur les plaines fertiles du centre, des affrontements pour l’accès à la terre et à l’eau ont fait plusieurs milliers de morts entre agriculteurs et éleveurs en 2018.
Réunion d’information au centre de planning familial « 9ja Girls » de Bada, bidonville de Lagos, le 11 novembre 2018. / STEFAN HEUNIS / AFP
Dès la fin des années 1980, le gouvernement a tenté de mettre en place des politiques démographiques encourageant les familles à faire moins d’enfants qui ont échoué par « manque de volonté politique » et à cause de « barrières culturelles et religieuses », selon un rapport de la Commission nationale pour la population de 2015.
Malgré l’importance de cette question pour l’avenir du géant ouest-africain, elle reste taboue. En l’absence de filets sociaux, l’idée que plus on a d’enfants, mieux ils prendront en charge leurs parents pour leurs vieux jours reste très ancrée dans la société nigériane.
Alphabétisation des adultes
La croissance démographique de l’Afrique, et en particulier du Nigeria, est aussi ce qui a attiré de nombreux investisseurs étrangers sur le continent. Pour eux, la nouvelle génération représente un immense marché qui consomme des smartphones et ouvre des comptes bancaires.
Charles Robertson, économiste en chef à Renaissance Capital, est persuadé que cette population deviendra « une plus-value pour le Nigeria d’ici à une vingtaine d’années ».
« Le pays a besoin de deux choses pour s’industrialiser et donc se développer : un fort taux d’alphabétisation adulte et une meilleure couverture des besoins en électricité, notamment dans les grandes villes. »
« Le Nigeria a fait beaucoup d’efforts ces dernières années pour améliorer l’accès à l’éducation de base (60 %), même si certains pays comme le Kenya (78 %) et le Ghana (77 %) y sont parvenus plus rapidement, affirme l’économiste. C’est ce qui permettra aux jeunes de trouver des emplois mieux rémunérés. »