Neuf textes à lire pour mieux comprendre Facebook
Neuf textes à lire pour mieux comprendre Facebook
Par Michaël Szadkowski
Une sélection de livres, d’enquêtes et de rapports pour comprendre les origines, les évolutions et les défis du réseau social le plus influent de la planète.
Facebook est né il y a exactement 15 ans, le 4 février 2004. / NICOLAS SIX / QUENTIN HUGON / LE MONDE
Facebook fête ses quinze ans lundi 4 février : quinze années pendant lesquelles il est passé de réseau social balbutiant pour étudiants à l’un des portails les plus puissants et influents d’Internet. Voici une sélection d’ouvrages et de textes immanquables, pour comprendre d’où est parti Facebook, et tenter de comprendre où il va.
« La révolution Facebook »
Par David Kirkpatrick (livre paru en français, éditions JC Lattès, 20,50 euros)
Ce livre, sorti en 2010, est une sorte de version officielle de la naissance du réseau social. Il dresse un panorama contrôlé, mais précis, de la création du site « TheFacebook » en 2004 dans les dortoirs d’Harvard, puis de son développement à Palo Alto (Californie). Le livre n’épargne pas Mark Zuckerberg et ses motivations initiales pour créer Facebook : comparer le physique des étudiants de son université, après une déception amoureuse. Son auteur, David Kirkpatrick, ancien journaliste au magazine Fortune, a eu plusieurs entretiens directs avec Mark Zuckerberg et divers personnages clés de ses débuts, qui ont validé le récit. Ce qui a conduit d’autres observateurs de la création de Facebook à regretter un aspect trop élogieux de La révolution Facebook. A lire toutefois, pour ses nombreux témoignages et photos d’époque.
« La revanche d’un solitaire »
Par Ben Mezrich (livre paru en français - version poche chez J’ai lu à 7,50 euros)
A l’inverse du livre précédent, La revanche d’un solitaire n’est pas validé par Facebook. La communication de l’entreprise en a regretté certains aspects fantaisistes et erreurs factuelles lors de sa sortie en 2009. Sans doute en raison d’une dimension bien plus sulfureuse dans cette narration des débuts de Facebook, qui se retrouve dans le titre en anglais : The Accidental Billionaires : The Founding of Facebook, a Tale of Sex, Money, Genius, and Betrayal (qu’on pourrait traduire par : « Milliardaires par accident : la création de Facebook, une histoire de sexe, d’argent, de génie et de trahison »).
Le texte met en effet en scène les luttes de pouvoir et les conflits entre Mark Zuckerberg et d’autres étudiants de Harvard entourant la paternité réelle de Facebook. Ces conflits, qui ont donné lieu à des poursuites judiciaires, ont été racontés dans d’autres enquêtes journalistiques comme cette longue enquête du magazine Rolling Stone : « The Battle for Facebook ». Preuve de son influence, La revanche d’un solitaire a ensuite été adapté en film : The Social Network, sorti en 2010, réalisé par David Fincher et produit par Aaron Sorkin.
The Social Network - Bande-annonce 2 - VOST
Durée : 02:17
« The Filter Bubble »
Par Eli Pariser (livre paru en anglais uniquement)
Les conséquences du développement des réseaux sociaux sur l’accès à l’information et la vision du monde de ses utilisateurs ont fait l’objet de nombreuses recherches et de débats. Parmi ces travaux, l’essai The Filter Bubble, écrit par le chercheur Elis Pariser (sorti en 2011, et toujours pas traduit en français) est fondateur. Il décortique le principe de « bulle de filtre », selon lequel un réseau social comme Facebook enferme l’utilisateur dans une certaine zone de confort idéologique. Les algorithmes de Facebook, qui choisissent les publications visibles pour un utilisateur sur la base de ses données personnelles et de son cercle de contacts, ont en effet tendance à privilégier ce avec quoi nous sommes d’accord.
« Cela a des conséquences sur la démocratie : pour être un bon citoyen, il faut que vous puissiez vous mettre à la place des autres et avoir une vision d’ensemble. Si tout ce que vous voyez s’enracine dans votre propre identité, cela devient difficile, voire impossible », expliquait Eli Pariser en 2011. Des propos précurseurs, qui interrogent sans complaisance le poids conféré à Facebook sur des sujets cruciaux comme le partage du savoir et les opinions des citoyens. Ces réflexions ont également nourri de nombreux projets alternatifs à Facebook, certains appelant à « reprendre le contrôle » sur notre bulle de filtre.
« Chaos Monkey »
Par Antonio Garcia Martinez (livre paru en anglais uniquement)
Chaos Monkey, sorti en 2016, offre une plongée unique dans un univers indispensable pour comprendre le développement de Facebook : la publicité en ligne, qui génère l’essentiel des milliards de revenus annuels de l’entreprise. Chaos Monkey est écrit par Antonio Garcia, ancien « startupeur » qui décrit son expérience à travailler deux ans au service publicité de Facebook. Une plongée directe, sans concession, opérée avec les yeux d’un businessman qui explore pourquoi un géant du numérique n’a pas uniquement vocation à « rendre le monde meilleur », mais aussi à prospérer en surfant de manière cynique sur les opportunités. Ce texte résume, selon le New York Times, un certain « esprit de la Silicon Valley », qui a aussi conduit Facebook à sa domination actuelle d’Internet.
« Facebook est-il devenu incontrôlable ? »
Article paru dans le magazine New York Magazine, lisible en anglais sur Internet, et traduit en français par Courrier International
Dans ce long texte paru en octobre 2017, le journaliste Max Read s’interroge : avons-nous, collectivement, les moyens de comprendre intellectuellement ce qu’est devenu Facebook, tant le réseau social a dépassé les frontières de ce qui avait été créé jusqu’ici ? Plus grand que tous les pays du monde en termes de nombre d’utilisateurs, offrant des fonctionnalités de vie sociale basique, mais scruté pour ses effets sur la vie politique, les valeurs communes, le partage du savoir, la concurrence commerciale… Autant de significations qui confèrent à Facebook un statut jusqu’ici inédit : « un hybride d’Etat-Eglise-société ferroviaire-centre commercial-colonie extraterrestre », selon l’auteur :
« A l’image d’Internet, Facebook défie notre compréhension : c’est un réseau aux dimensions vertigineuses, non seulement en termes d’utilisateurs, mais aussi en termes de pénétration des activités humaines – qu’il s’agisse des simples rappels d’anniversaires ou des fondements de notre démocratie libérale. »
Les multiples déclarations et réactions de Mark Zuckerberg depuis l’élection de Donald Trump, parlant à la fois de progrès technologiques de sa plateforme, mais aussi des valeurs de Facebook et de sa « communauté mondiale » en lien avec la vie démocratique des Etats, brouillent également les pistes. Max Read pointe notamment les effets de sens de la tournée américaine du patron de Facebook, qui s’est rendu dans une dizaine d’Etats en 2017 pour rencontrer des citoyens sur le terrain. Une tournée qui a aussi lancé des interrogations sur une éventuelle candidature à l’élection présidentielle américaine de Zuckerberg… qui n’a pas (encore ?) eu lieu.
Mark Zuckerberg achève son « tour des Etats-Unis »
« Inside Facebook’s Hellish Two Years »
Article paru dans le magazine Wired, lisible en anglais sur Internet
(Repost) My latest @Wired with @nxthompson https://t.co/Ywv5K2K9WC
— fvogelstein (@Fred Vogelstein)
Cette longue enquête, publiée en février 2018, donne un aperçu rare des enjeux, des crises et des réactions survenues chez Facebook depuis 2016, en premier lieu au sein de sa direction. Le géant du numérique a été, durant cette période, confronté à ce qui constitue maintenant ses plus gros défis, principalement liés aux questions et accusations sur le rôle de Facebook dans les processus électoraux, et à l’exploitation des données des utilisateurs par des acteurs aux objectifs tendancieux.
Cette enquête, alimentée par une cinquantaine de sources anonymes travaillant chez Facebook, est parue avant les scandales Cambridge Analytica et les auditions de Mark Zuckerberg au Congrès américain. Mais l’enquête donne de nombreuses clés pour comprendre pourquoi Facebook n’a pas forcément anticipé au mieux les critiques et les détournements de ses fonctionnalités, qu’il a souvent développées sans en prévoir tous les usages. En 2018, d’autres enquêtes ambitieuses de médias américains, notamment une plongée du New York Times dans les ratés de la communication de Facebook, parue en novembre, se sont fondées également sur de nombreuses sources anonymes d’employés de Facebook.
« WhatsApp Cofounder Brian Acton Gives The Inside Story On #DeleteFacebook »
Article paru dans le magazine Forbes, lisible en anglais sur Internet
Que se passe-t-il lorsqu’un géant comme Facebook achète une application à succès comme WhatsApp pour 19 milliards de dollars (16,6 milliards d’euros) ? Comment le cofondateur de WhatsApp, Brian Acton, a-t-il pu continuer à faire vivre ses valeurs et ses choix, en voyant peu à peu son service être englouti par le mastodonte Facebook ? Réponse : en claquant la porte, en utilisant l’argent gagné pour fonder la fondation Signal, puis en appelant les internautes à supprimer leur compte Facebook. L’enquête de Parmy Olson, journaliste à Forbes, parue en septembre 2018, donne à voir l’un des aspects collatéraux de la progression de Facebook dans l’écosystème d’Internet.
Les deux rapports transmis au Sénat américain sur l’influence russe opérée sur Facebook
Consultables en anglais mais en libre accès sur Internet
En décembre 2018, deux études, qui ont nécessité plusieurs mois et l’analyse de dizaines de milliers de posts Facebook et Instagram, ont été transmises au Sénat américain. L’entreprise de cybersécurité New Knowledge a compilé ses recherches dans The Disinformation Report. L’université d’Oxford a pour sa part intitulé son texte : L’IRA, les réseaux sociaux et la polarisation politique des Etats-Unis entre 2012 et 2018. Ces deux rapports se fondent sur les mêmes éléments : l’exploitation des environnements Facebook et Instagram par une agence de propagande russe, qui a créé de multiples faux comptes et disséminé des milliers de messages et d’images, dans le but d’influencer le débat public américain dans les années 2010.
On y trouve des exemples précis et des analyses méthodiques des techniques employées. Et l’on se rend compte de la facilité avec laquelle des organisations peuvent prendre en main un réseau social de manière souterraine pour tenter d’y diffuser des messages favorables à leurs intérêts. Face à cela, Facebook a mis en place une politique de modération et de surveillance des activités « inauthentiques » de plus en plus forte. Mais les défis restent tenaces : régulièrement, le réseau social communique sur des suppressions de faux comptes et d’opérations d’influence, dernièrement liés à la Russie et à l’Iran.