G5 Sahel : « Sans les femmes, nous ne parviendrons jamais à la paix »
G5 Sahel : « Sans les femmes, nous ne parviendrons jamais à la paix »
Propos recueillis par Sophie Douce (Ouagadougou, correspondance)
Coordonnatrice de la plateforme des femmes du G5 Sahel, la Burkinabée Justine Coulidiati-Kielem souligne le rôle des Africaines dans la lutte contre le terrorisme.
Justine Coulidiati-Kielem, coordonnatrice régionale de la plateforme des femmes du G5 Sahel, à Ouagadougou, le 31 janvier 2019. / Sophie Douce
Elle se décrit comme « activiste » et « féministe ». Présidente de la Coalition femmes, paix et sécurité au Burkina Faso, engagée « depuis l’enfance » sur la question du genre, Justine Coulidiati-Kielem a trouvé un porte-voix de taille : il y a quelques mois, cette docteure en socio-économie a été choisie pour représenter la plateforme des femmes du G5 Sahel, créée le 23 juillet 2018 à N’Djaména (Tchad). Depuis, elle multiplie les plaidoyers et les formations de « médiatrices » et de « femmes leaders ». Son ambition : faire entendre leur voix dans la lutte contre le terrorisme. Alors que le sommet des chefs d’Etat du G5 Sahel, qui regroupe la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad, se tient mardi 5 février à Ouagadougou, Justine Coulidiati-Kielem a répondu aux questions du Monde Afrique.
Pourquoi créer une plateforme des femmes du G5 Sahel ?
Justine Coulidiati-Kiélem La voix des femmes est inaudible sur le terrain de la lutte contre le terrorisme. Malgré les nombreuses résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies pour renforcer leur leadership et leur participation dans les processus de paix, elles restent peu représentées dans les instances de décision et de médiation. Il faut pourtant que les hommes reconnaissent qu’ils ont échoué à faire reculer l’extrémisme violent. Au Burkina Faso, la détérioration de la situation sécuritaire est inquiétante. Je suis persuadée que sans les femmes, nous ne parviendrons jamais à la paix. Il faut mettre plus de moyens à leur disposition pour qu’elles puissent œuvrer davantage. C’est l’ambition de cette plateforme regroupant plus d’une cinquantaine d’organisations féminines.
On oublie trop souvent que les femmes sont à la fois victimes et actrices de ces violences perpétrées par les groupes armés. Au Burkina, elles ne sont pas épargnées par les terroristes, lesquels n’hésitent plus à les attaquer ou à les utiliser. Il y a quelques mois, les forces de l’ordre burkinabées ont arrêté un groupe de femmes en possession d’engins explosifs sur la route entre Ouahigouya et Ouagadougou. La pauvreté, les difficultés d’accès à un emploi décent ou aux ressources de base, le sentiment d’injustice et d’abandon des autorités, c’est tout cela qui est instrumentalisé par ces groupes radicaux.
En quoi les femmes peuvent-elles jouer un rôle dans la lutte contre le terrorisme ?
Dans les sociétés africaines, les femmes occupent une place très importante. Leur rôle est peut-être moins visible, mais il est très fort en termes de prises de décisions. Quand les hommes doivent trancher, ils prennent d’abord les conseils de leur épouse. Chez les Mossi par exemple, lorsque le roi rend un jugement, il y a toujours une porte discrète où on place une femme particulière pendant les débats. A la suspension, les chefs se retirent pour l’écouter. Traditionnellement, elle a une fonction essentielle dans la médiation, le plaidoyer et la gestion des conflits.
Lorsqu’elle se marie, la femme contribue à la cohésion sociale en unissant les familles, parfois de différentes ethnies. Elle a un ancrage fort dans le foyer et joue un rôle crucial dans l’éducation des jeunes. De nos jours, on observe une sorte de relâchement sur cet aspect-là, pourtant la mère peut justement empêcher l’endoctrinement de ses enfants. Au-delà du cercle familial, elle peut agir à tous les niveaux, si on la dote des bons outils et qu’on lui en laisse l’opportunité. Au Burkina, les femmes sont sur tous les champs de bataille : elles sont très actives dans les associations communautaires, professionnelles et les organisations de la société civile. C’est par le biais de ces différentes plateformes qu’elles pourront réussir à faire entendre leur voix.
Avec quels outils peuvent-elles œuvrer précisément ?
Nous formons les femmes à repérer les premiers signaux de radicalisation, à lancer l’alerte et à sensibiliser leur communauté. Avec mon association, qui fait partie de la plateforme du G5 Sahel, nous avons déjà pu travailler avec plusieurs centaines de mères de famille, d’épouses et de jeunes femmes. A terme, nous comptons doter chaque région et chaque commune d’un noyau de formateurs-animateurs.
Miser sur les femmes est stratégique. Dans les foyers, elles sont les premières à pouvoir détecter les attitudes à risques chez leur mari ou leurs enfants. Comme un changement dans le comportement, un isolement soudain ou des allers-retours suspects dans les zones d’opération des groupes armés. Elles peuvent ainsi empêcher que leurs proches ne tombent dans l’endoctrinement et la lutte armée.