« Tout ce qu’il me reste de la révolution » : à la poursuite d’un idéal
« Tout ce qu’il me reste de la révolution » : à la poursuite d’un idéal
Par Mathieu Macheret
Pour son premier long-métrage, l’actrice Judith Davis signe une comédie populaire et politique enlevée.
Avec son premier long-métrage, Judith Davis accomplit une sorte d’exploit : une comédie populaire enlevée et incarnée, qui ne cède rien à la démagogie et n’évacue pas d’emblée toute ambition esthétique. Dans le prolongement d’un spectacle de théâtre, que la comédienne avait créé en 2008 avec sa troupe, L’Avantage du doute, le film explore avec humour et intelligence le désarroi politique d’une génération de jeunes adultes, soucieuse à la fois de perpétuer les luttes révolutionnaires des aînés (ceux qui ont fait Mai 68) et de se frayer un chemin sur un marché du travail de plus en plus verrouillé. Un sacerdoce qui prend la forme d’un grand écart entre deux générations et, à travers elles, deux moments de la société française, qu’il semble, à cinquante ans de distance, de moins en moins possible de concilier, voire de « raccorder ».
Angèle (Judith Davis) est une militante qui nourrit l’ambition de « changer le monde » et a embrassé pour cela la vocation d’urbaniste. Licenciée de son cabinet par des patrons « de gauche » qui lui préfèrent un stagiaire moins coûteux, Angèle retourne vivre chez son père, un ancien militant maoïste reconverti dans la cuisine associative. Une brèche s’ouvre alors dans l’existence de la jeune femme, qui lui permet de reconsidérer sa relation aux autres. Avec sa meilleure amie, Léonor (Claire Dumas), elle monte un petit groupe de discussion citoyen, où elle rencontre Saïd (Malik Zidi), un directeur d’école qui tombe amoureux d’elle. Elle renoue également avec sa sœur, Noutka (Mélanie Bestel), qui mène une vie domestique conformiste. Dans la conscience révoltée d’Angèle gît enfin quelque part le souvenir douloureux d’une mère perdue de vue depuis l’enfance, Diane (Mireille Perrier), à qui elle en veut d’avoir trahi ses idéaux de jeunesse.
« Affects de gauche »
Le long-métrage se penche ainsi sur la façon dont l’événement tout comme la légende de Mai 68 pèsent sur ceux qui ne sont venus qu’après, les obligent et les hantent, ceux-ci ayant reçu à la fois son héritage politique comme une promesse et ses retombées effectives comme une trahison. Reprenant à son compte le casting de la pièce d’origine, le film tire sa verve, sa drôlerie, mais aussi sa tendresse, de sa façon d’observer la persistance des « affects de gauche », dans un monde qui s’acharne à les rendre de plus en plus anachroniques ou inadaptés.
Angèle butte contre une réalité sociale obtuse, où son militantisme assumé fait tache : face à la commisération hypocrite de ses patrons « soixante-huitards », au prosélytisme néolibéral de son beau-frère illuminé, ou encore à la léthargie politique d’un dentiste célibataire, elle oppose une réaction spontanée et vitale.
Si le film trahit parfois son origine théâtrale et cède par moments à certains typages sociologiques, il convainc néanmoins par sa façon d’ancrer la comédie dans de véritables enjeux d’espace : ce nouveau visage de Paris, envahi par les agences bancaires et la publicité, dont Angèle entreprend de redessiner les contours à la faveur d’un concours d’urbanisme.
En prenant un tour plus psychologique, celui d’une « remontée » d’Angèle vers la pièce manquante qu’est sa mère, la seconde partie du film semble rabattre l’ethos militant de son héroïne aux dimensions d’une simple névrose familiale. C’est pourtant à cette occasion qu’interviennent les plus belles scènes : deux apparitions de Mireille Perrier, la première à la faveur d’un flash-back (en fait un Cinématon tourné par Gérard Courant en 1987), la seconde dans un présent enfin apaisé que l’actrice nimbe de sa présence mélancolique et harmonieuse. Le film prend alors un tout autre visage : celui d’un pur témoignage d’amour de la comédienne Judith Davis envers cette aînée magnifiée, les délivrant enfin toutes deux de l’amertume et du ressentiment politiques.
TOUT CE QU'IL ME RESTE DE LA RÉVOLUTION - bande annonce
Durée : 01:42
Film français de et avec Judith Davis. Avec Malik Zidi, Claire Dumas, Mélanie Bestel, Nadir Legrand, Simon Bakhouche, Mireille Perrier (1 h 28). Sur le Web : www.agatfilmsetcie.com/fiche-film.php?id=44056