En psychiatrie, « le vrai problème se trouve dans la rupture de la chaîne de soins »
En psychiatrie, « le vrai problème se trouve dans la rupture de la chaîne de soins »
Propos recueillis par Charlotte Chabas (Propos recueillis par)
Pour Marie-Jeanne Richard, présidente de l’association de familles de malades psychiques, le profil de la suspecte de l’incendie mortel de la rue Erlanger rappelle le « trop peu d’accompagnement » des malades psychiques.
L’incendie d’un immeuble du 16e arrondissement de Paris, dans la nuit de lundi 4 à mardi 5 février, a causé la mort de dix personnes et fait 96 blessés, dont un grièvement. Le profil de la suspecte, qui souffre de troubles psychiatriques, relance le débat sur le manque d’accompagnement des malades en France. Marie-Jeanne Richard, présidente de l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapés psychiques (Unafam), dénonce cet « abandon » des malades psychiques par la société, qui « crée la répétition des moments de crise ». « Aujourd’hui, on attend que ça dérape, et après on crie au loup », juge-t-elle.
Le parcours de la principale suspecte de l’incendie de la rue Erlanger, ponctué de treize séjours dans un établissement psychiatrique parisien entre 2009 et 2019, est-il une exception ?
Marie-Jeanne Richard : Non, malheureusement, c’est ce qu’on appelle le syndrome de la « porte-tournante », c’est-à-dire la multiplication des hospitalisations en urgence. Il s’explique par une difficulté d’accès aux soins, surtout en début de symptômes. Les gens qui ne vont pas bien ont du mal à trouver un clinicien pour les aider, ou à obtenir une place dans des centres médico-psychologiques (CMP) débordés. En moyenne, il faut attendre trois ans pour accéder aux soins.
On est contraints d’attendre que la personne soit en état de crise pour avoir accès à des soins psychiatriques en urgence. Or, un hôpital n’est pas un lieu de vie. C’est souvent surpeuplé, dans des bâtiments dégradés. Quand vous rentrez dans ce lieu-là, surtout en état de crise, vous n’avez qu’une idée : c’est en sortir.
On connaît des personnes pour qui le système de soins a fonctionné. Le médecin généraliste travaillait avec des psychiatres, a pu aiguiller la famille, les orienter vers une association d’aide pour répondre à leurs questions. Un tissu médico-social s’est formé autour de la personne pour l’aider à trouver des solutions. Certains malades mènent leur vie sans passer par la case hôpital, sans connaître de crise majeure. Malheureusement, c’est aujourd’hui l’exception.
Quand un patient sort d’une prise en charge, comment est-il accompagné ?
On se focalise toujours sur la sortie, en interrogeant la pertinence de la décision, etc. En faisant ça, on rend coupable le monde soignant : « il n’a pas su faire », « ils ne l’ont pas gardé suffisamment longtemps », etc. C’est facile de critiquer après coup, alors qu’aucune décision n’est prise à la légère. Le vrai problème se trouve dans la rupture de la chaîne de soins.
Il existe des dispositifs de suivi, mais beaucoup trop peu d’accompagnement. Quand une personne sort, elle peut avoir un rendez-vous chez un psychiatre ou dans un CMP la semaine suivante, voire dans un mois, quand le centre est débordé. Elle peut avoir quelques visites d’un infirmier à domicile aussi. Est-ce suffisant pour retrouver une place dans la société ? Absolument pas.
Nous, ce qu’on demande, c’est qu’il y ait un accompagnement dans le logement, dans le travail et les activités, dans le soin. En Suisse par exemple, il y a des coordinateurs de parcours. Quand la personne sort, ce dernier sait qui est son référent, il peut passer la voir, lui demander conseil.
Aujourd’hui, il n’y a pas d’offres suffisantes pour les personnes qui vivent avec des troubles psychiques. Elles et leur entourage se retrouvent souvent seuls, isolés, sans forcément de solutions de logement, donc souvent à la rue, sans accès au monde du travail. C’est cet abandon de la société qui crée la répétition des moments de crise, et les hospitalisations multiples.
Le malade n’est pas qu’un malade, il est une personne. Avec une vie avant, une vie après. Il faut lui donner les chances de pouvoir exister en l’aidant à ne pas perdre le lien social. Aujourd’hui, on attend que ça dérape et après on crie au loup.
Quelle place les personnes souffrant de troubles psychiques trouvent-elles dans la société ?
Malheureusement, en France, il n’y a aucune bienveillance par rapport aux malades psychiques. Quand on regarde les études d’opinion, le grand public perçoit toujours la maladie mentale comme liée à la violence, à l’instabilité, à la folie. C’est véhiculé dans les médias : on ne parle de la psychiatrie qu’à travers les faits divers sordides, quand le malade devient agresseur. Or, on oublie de dire que c’est l’exception.
Les personnes qui souffrent d’un trouble psychique sont victimes de violences, bien plus qu’elles n’en sont les autrices. Elles sont stigmatisées, exclues de la société, on les juge inaptes à vivre en communauté. Ce regard les isole encore plus, les amène à un autodénigrement violent. Aujourd’hui, quand on est malade, on se sent coupable. On ose dire qu’on est diabétique, mais surtout pas schizophrénique. Beaucoup préfèrent être dans le déni, repousser l’idée de la maladie, jusqu’à se retrouver en crise. Plus on est malade, moins on veut se faire soigner. Pour les proches, c’est terrible.
Pourtant, un Français sur cinq sera touché par la maladie mentale d’ici 2020. Et une personne sur trois a des risques de développer à un moment de sa vie des troubles qui l’amèneront à avoir besoin de soins psychiatriques. Nous devons tous travailler sur ce problème, mais je crains malheureusement qu’on vive dans une société qui aime exclure.