Football : le Qatar, champion d’Asie grâce à ses talents issus d’Afrique
Football : le Qatar, champion d’Asie grâce à ses talents issus d’Afrique
Par Alexis Billebault
Quatre joueurs de l’équipe nationale, dont son buteur star, ont été naturalisés, tandis que cinq autres sont nés dans l’émirat de parents africains.
Almoez Ali, meilleur buteur de la Coupe d’Asie des nations 2019, à Abu Dhabi, le 1er février 2019. / Suhaib Salem / REUTERS
Quelle est sa recette miracle ? Vendredi 1er février, le surprenant Qatar a remporté pour la première fois de son histoire la Coupe d’Asie des nations de football, organisée aux Emirats arabes unis. Une victoire que le pays doit notamment à la partie africaine de l’équipe, puisque neuf joueurs sont originaires du continent. C’est autant que lors de la précédente édition, en 2015 en Australie. Sous la houlette du sélectionneur algérien Djamel Belmadi, l’aventure s’était alors achevée au soir du premier tour, après trois matchs et autant de défaites.
Cette année, Félix Sanchez Bas, le coach espagnol des Al-Annabi, a obtenu un résultat complètement différent, puisque le Qatar a remporté ses sept matchs, dont la finale contre le Japon (3-1). Entre-temps, c’est une petite révolution qui s’est produite sur le terrain avec les neuf joueurs d’origine africaine, qui n’ont pas la même histoire que leurs prédécesseurs même si certains étaient déjà présents en Australie, tels Karim Boudiaf (d’origine algéro-marocaine), Boualem Khoukhi (né en Algérie) et Abdulaziz Hatem (d’origine soudanaise).
« Il y a quatre ans, il y avait davantage de joueurs naturalisés, explique le Français Serge Romano, adjoint de Djamel Belmadi entre 2014 et 2015. Certains étaient nés au Sénégal, en République démocratique du Congo [RDC], au Koweït, en Arabie saoudite et au Bahreïn. Le Qatar n’a pas renoncé à cette pratique, mais il naturalise désormais dans des proportions moins importantes. »
Algérie, Cap-Vert, Tanzanie…
Pendant plusieurs années, des joueurs africains encore mineurs étaient recrutés dans leur club d’origine et attirés vers Doha. Mais « il n’était pas très bien perçu, notamment dans des pays nord-africains, que les Qataris viennent chercher des joueurs mineurs pour les former à Doha et les naturaliser ensuite en vue de les intégrer à la sélection nationale, avec pour horizon la Coupe du monde 2022, que le pays organisera », explique un entraîneur passé par le Golfe et le Maghreb.
Les Qataris ont entendu le message. Dans la sélection actuelle, seuls quatre joueurs ont acquis la nationalité qatarie. Leur naturalisation a eu lieu après qu’ils eurent passé cinq ans sur le territoire, comme la réglementation de l’émirat l’exige. Karim Boudiaf est né en France d’un père algérien et d’une mère marocaine ; il a été naturalisé en 2014. Pedro Miguel Carvalho Deus Correia, dit « Ro-Ro », est d’origine cap-verdienne ; né au Portugal, il est arrivé en 2011 au Qatar et a été naturalisé en 2016. Quant à Almoez Ali, meilleur buteur de la compétition avec neuf réalisations, il est né à Khartoum, au Soudan, mais a migré à Doha avec ses parents à l’âge de 7 ans. Il fait partie des deux Africains nés en Afrique, avec Boualem Khoukhi, natif d’Algérie.
Hamid Ismail, Assim Madibo et Abdulaziz Hatem sont originaires du Soudan, Ali Afif de Tanzanie et Ahmed Alaaeldin d’Egypte, mais tous ces joueurs sont nés dans l’émirat et ont bénéficié de la volonté du Qatar de recruter des « locaux ». Doha a en effet décidé de « miser sur les jeunes joueurs nés au Qatar, qu’ils soient de purs locaux ou d’origine étrangère », explique Nabil Haïz, analyste de performance au club d’Al-Duhail, à Doha.
« Un vecteur d’ascension sociale »
Difficile en effet de recruter de purs nationaux dans un petit pays qui n’a pas vraiment la culture du football. Les 2,7 millions d’habitants ne suffisent pas pour avoir un vrai vivier, alors que « le pays compte environ 80 % d’étrangers », comme le rappelle l’entraîneur français Pierre Lechantre : « Quand j’ai été nommé sélectionneur du Qatar, en 2001, j’ai expliqué à la fédération qu’en enlevant les femmes, les enfants et les personnes âgées, le réservoir potentiel de joueurs se limitait à quelques centaines de personnes. Les dirigeants voulaient malgré tout privilégier les locaux. Mais ils ont finalement compris que ce serait compliqué pour faire progresser le foot qatari. C’est pour ça qu’ils ont commencé à naturaliser des joueurs, notamment des Africains. »
A l’étroitesse du marché s’ajoute un autre frein, culturel cette fois. « Il faut prendre conscience du contexte local, estime Serge Romano. On a souvent entendu dire que les joueurs qataris n’étaient pas assez rigoureux et professionnels, car leur pays est très riche et le football n’y est pas perçu comme le meilleur moyen de s’élever socialement. Les familles préfèrent envoyer leurs enfants étudier à l’étranger pour qu’ils reviennent ensuite occuper de hautes fonctions au Qatar, plutôt que de les placer dans des centres de formation. Un joueur né au Qatar mais qui est d’origine soudanaise ou égyptienne aura plus d’envie de faire carrière, car le foot peut représenter un vecteur d’ascension sociale. »
En dépit de ces nombreuses contraintes, la victoire en Coupe d’Asie montre que le Qatar a trouvé un compromis efficace.