Cinq Africaines à suivre en 2019
Cinq Africaines à suivre en 2019
Par Sandrine Berthaud-Clair
Portraits de femmes qui font bouger le continent, révélées par le classement des « 100 Africains de l’année » du magazine « New African ».
Raconter l’Afrique émergente. Dénicher aujourd’hui les talents de demain. C’est à cet exercice que le magazine New African s’est plié dans son numéro trimestriel paru début février. Pour sortir « Les 100 Africains de l’année 2019 », Hichem Ben Aïche, le rédacteur en chef de l’édition francophone, s’est donné pour contrainte de « ne pas piocher dans les personnalités du premier cercle ». Son classement veut « se concentrer sur les forces vives, les forces de création » qui font avancer le continent.
Exit donc les indéboulonnables présidents et premiers ministres attendus, les puissants chefs d’entreprises et autres people surmédiatisés, et place au « deuxième cercle ». Si pour les hommes la recherche a été aisée, les Africaines, plus réservées peut-être, malgré leur dynamisme et leur inlassable travail, n’occupent qu’une toute petite place dans ce palmarès avec douze portraits seulement. Le Monde Afrique propose un coup de projecteur sur cinq d’entre elles. De ces femmes qui, presque en silence, avancent et font.
Najla Al-Missalati, passeuse de code
L’ingénieure libyenne a cofondé il y a deux ans, à l’âge de 27 ans, l’école SheCodes, exclusivement destinée aux filles qui veulent devenir informaticiennes et développeuses de logiciels. Convaincue que les femmes doivent conquérir l’univers du langage informatique pour se dégager d’une vision réductrice de l’émancipation les confinant à certains métiers, Najla Al-Missalati a convaincu l’Union européenne et Expertise France de la soutenir.
Les deux premières promotions de jeunes filles sont sorties en 2018, et SheCodes compte investir les écoles de Benghazi pour initier les enfants au monde du 2.0. La guerre fratricide engagée depuis la mort de Mouammar Khadafi en 2011, qui mobilise les hommes au combat, a poussé les femmes à sortir de chez elles et à travailler davantage, « obligeant les mentalités à évoluer petit à petit », explique la Benghaziote. Son ambition est désormais de former des informaticiennes « capables de concurrencer les meilleurs ingénieurs indiens ». SheCodes a remporté le deuxième prix de la compétition mondiale Seed Stars en août 2018.
Maximilienne Ngo Mbe, lanceuse d’alerte
Directrice du Réseau des défenseurs des droits humains du Cameroun (Redhac), c’est elle qui a dénoncé, début juillet 2018, l’exécution sommaire par des soldats camerounais de deux femmes et de leurs enfants. La vidéo de trois minutes montrant les faits, publiée le 10 juillet sur Internet et rapidement devenue virale sur les réseaux sociaux, avait déclenché un scandale, l’armée étant déjà suspectée de brutalité envers la population civile dans sa lutte contre Boko Haram, notamment dans la région de l’Extrême-Nord. Après plusieurs semaines d’une communication hasardeuse faite d’annonces et de démentis, les autorités camerounaises ont enfin procédé à l’arrestation, le 10 août, de sept militaires.
Maximilienne Ngo Mbe, directrice du Réseau des défenseurs des droits humains au Cameroun (Redhac). / CC 2.0
La Redhac, ONG habituée des zones de conflits, avait affirmé avoir « recoupé » les informations contenues dans cette vidéo, disant être en mesure d’attester de « son authenticité ». Il aura fallu ensuite plus de deux mois d’enquête collaborative menée par la BBC avec Amnesty International, le site d’investigation Bellingcat et la contribution d’internautes pour déterminer avec certitude le lieu du crime, affiner la date (entre le 20 mars et le 5 avril 2015) et trouver l’identité des deux principaux soldats grâce à des outils numériques et mathématiques.
Avec l’aggravation de la crise anglophone dans l’ouest du pays, le terrorisme islamiste dans le nord et la reprise en main générale opérée par le régime après la réélection, en octobre, du président Biya pour un septième mandat, la vigilance de la Redhac sera encore utile aux Camerounais.
Kamissa Camara, diaspora gagnante
A 35 ans, Kamissa Camara a été nommée ministre des affaires étrangères et de la coopération internationale dans le nouveau gouvernement de Soumeylou Boubèye Maïga. Diplômée en relations internationales et en économie politique, elle a fait ses études en France et aux Etats-Unis. Détentrice des nationalités américaine, française et malienne et d’un carnet d’adresses à la hauteur de son parcours, la trentenaire a pris la tête de la diplomatie malienne en septembre 2018 après la réélection, en août, du président Ibrahim Boubacar Keïta pour un second mandat.
La nouvelle cheffe de la diplomatie malienne, Kamissa Camara, à Bamako, le 22 septembre 2018. / MICHELE CATTANI / AFP
Partie un temps faire carrière outre-Atlantique au sein de plusieurs centres de recherche et ONG spécialisés dans la sécurité, la bonne gouvernance et la diplomatie, elle avait créé en 2018 le cercle de réflexion Forum stratégique sur le Sahel.
Fattoum Nasser, les délices de Yummy
A tout juste 20 ans, Fattoum Nasser faisait partie des lauréats du concours d’entreprenariat organisé par le prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT) et l’incubateur de la compagnie pétrolière bahreïnie Tatweer, pour la création de l’application Yummy, une plateforme de livraison de plats faits maison installée à Sebha, ville du centre de la Libye, et lancée début 2018.
La Libyenne Fatoum Nasser. / Twitter/Saddam Alrashdy
Un an plus tard, la petite entreprise (dont le nom signifie « délicieux ») s’est développée sur les réseaux sociaux grâce à une dotation de 80 000 dollars (71 500 euros). Elle livre désormais aussi les villes de Tripoli et Benghazi grâce à des dizaines de chauffeurs, et emploie onze personnes pour préparer les commandes. « On a commencé avec rien, on était tous bénévoles avec l’envie d’aider les gens », raconte volontiers Fattoum Nasser. En 2018, Yummy a remporté la troisième place aux Seed Stars, assortie d’un prix de 10 000 dollars pour continuer de se développer.
Amy Sow, peindre les voix des femmes
Depuis 2017 et la création d’Art Gallé, un lieu ouvert destiné à faire connaître les arts plastiques et les artistes dans la capitale mauritanienne, la peintre Amy Sow ne se lasse pas de travailler dans ce but, convaincue « qu’à travers l’art on peut changer beaucoup de choses ». Née en 1977 à Nouakchott, Amy Sow est « tombée » dans la peinture dans les années 2000. Comptant parmi les rares femmes de son pays à avoir choisi cette voie pour s’exprimer, elle raconte avoir dû « forcer ce chemin » alors que la Mauritanie ne compte aucune école des beaux-arts et que le rôle assigné à la femme y est encore circonscrit au foyer.
Amy Sow à Nouakchott, en Mauritanie. / Unicef
Depuis près de quinze ans, la plasticienne concentre son travail sur la figure de l’Africaine, « méprisée partout ». « Je suis porteuse de voix, et mon but, c’est d’aider, de dénoncer, de crier s’il le faut. C’est à travers ma peinture que je peux mener cette lutte-là. » Après avoir constitué plusieurs collectifs d’artistes, participé en 2014 en tant que « costumière plasticienne » au film Timbuktu réalisé par son compatriote Abderrahmane Sissoko, Amy Sow est désormais l’une des rares Mauritaniennes à être exposée à l’extérieur de son pays.