« Peu m’importe si l’histoire nous considère comme des barbares » : dans les heures sombres de l’histoire roumaine
« Peu m’importe si l’histoire nous considère comme des barbares » : dans les heures sombres de l’histoire roumaine
Par Mathieu Macheret
Radu Jude rappelle, dans un dispositif brillant, le massacre de juifs à Odessa, en 1941.
L’histoire n’est pas gravée dans un marbre indiscutable, mais toujours sujette à des réécritures ou à des révisions partisanes qui en font le territoire d’une lutte politique permanente. C’est, en quelque sorte, ce que démontre, non sans amertume, le dernier long-métrage de Radu Jude, cinéaste révolté qui, après avoir évoqué dans Aferim (2015) l’esclavage des Roms au XIXe siècle, soulève encore ici un point extrêmement inconfortable du passé roumain.
La phrase qui compose son titre est extraite d’un discours du maréchal Antonescu, en juin 1941, qui ouvrit la voie, l’automne suivant (du 22 octobre au 1er novembre), au massacre de 20 000 juifs par l’armée roumaine à Odessa. Elle rappelle que la Roumanie fut, pendant quelques années de la seconde guerre mondiale, une dictature militaire ralliée à l’Allemagne nazie et impliquée dans la Shoah – séquence qui sera largement réécrite et atténuée sous le régime communiste.
La vérité qui fâche
Radu Jude choisit non pas de reconstituer directement cet épisode « barbare », mais de mettre en abyme l’acte même de sa représentation. Mariana (Ioana Iacob), metteuse en scène de théâtre, prépare un spectacle subversif dénonçant le massacre d’Odessa, qui doit prendre la forme détournée d’une parade militaire officielle. Déterminée, la jeune femme rencontre de nombreuses réticences, notamment parmi sa troupe de figurants, où le négationnisme règne.
Le film se compose d’arguties homériques sur des points d’histoire ardemment débattus. Les faits avérés se retrouvent pris d’assaut par des intérêts contradictoires, ceux d’une population qui se laisse bercer de mensonges réconfortants ou d’autorités clientélistes craignant de faire trop de vagues. La vérité qui fâche est ce que la plupart se satisferaient bien d’enterrer, au profit d’un roman national qui flatte la bonne conscience collective – Le Miroir, film révisionniste de Sergiu Nicolaescu, est diffusé à la télévision lors d’un passage effarant. Avec ce dispositif brillant, Radu Jude dénonce l’antisémitisme qui sévit encore aujourd’hui. Sa conclusion laisse peu d’espoir sur la possibilité de partager une histoire commune et de regarder ses zones d’ombre en face, en cette ère dite de la « post-vérité ».
I Do Not Care if We Go Down in History as Barbarians / Peu m'importe si l'Histoire nous consi [...]
Durée : 01:38
Film roumain, français et allemand de Radu Jude. Avec Ioana Iacob, Alexandru Dabija, Alex Bogdan (2 heures). Sur le Web : www.meteore-films.fr/distribution-films/Peu-m-importe-Radu-Jude