Au Mali, le maigre bilan de l’Accord de paix menace la stabilité politique et sécuritaire
Au Mali, le maigre bilan de l’Accord de paix menace la stabilité politique et sécuritaire
Par Morgane Le Cam (Bamako, correspondance)
Trois ans après la signature de la réconciliation entre Bamako et les groupes rebelles, seul un quart des dispositions ont été appliquées, révèle le rapport du Centre Carter.
En 2015, un accord de paix était signé à Alger entre les autorités maliennes et les mouvements rebelles, fêté à Bamako le 15 mai 2015. / HABIBOU KOUYATE / AFP
Le bilan est maigre. Seul un quart des engagements pris il y a trois ans et demi sont mis en œuvre… C’était en 2015, au moment de la signature de l’accord d’Alger, conclu pour mettre fin au conflit du nord du Mali. L’Etat et les anciens groupes rebelles qui revendiquaient alors l’indépendance d’une partie du pays s’étaient engagés à préserver l’unité du Mali à condition que 78 points sur lesquels ils s’étaient entendus avec l’Etat soient respectés. Le rapport publié ce 22 février par le Centre Carter, l’observateur indépendant de l’accord, révèle que seules 20 de ces clauses ont été intégralement respectées.
Pis, le Center Carter précise que « la plupart des progrès réalisés ont eu lieu avant 2018 et concernent principalement la mise en place de mesures préalables qui ne constituent pas une fin en soi ». La mise en place d’un nouveau cadre politico-institutionnel et d’une réforme du système de sécurité, centrales dans le dispositif, est loin d’être achevée (respectivement, 6 % et 24 %). Le « faible engagement du gouvernement et des mouvements signataires » et la « tactique souvent dilatoire des mouvements » sont les causes du blocage.
2019, année charnière
La stabilité politique et sécuritaire du Mali dépend pourtant largement de la mise en œuvre de ces deux piliers qui reprennent certaines des revendications formulées par les ex-rebelles, telle que l’obtention de plus de pouvoir dans la gouvernance et le développement des régions du nord. Tout n’est pas pour autant perdu puisque l’année 2019 pourrait fait figure d’année charnière. La réforme de la décentralisation, consacrée en 2012 par le vote d’une loi qui a quasiment doublé le nombre de régions, devrait enfin être menée sur le terrain.
Le hic, c’est que, depuis des mois, le texte est sujet à de sérieuses critiques. « Avec la création des nouvelles régions, on constate en effet que 80 % de la superficie est attribuée à moins de 10 % de la population. C’est démocratiquement un véritable scandale. Imaginez les conséquences sur la prise de décision à l’avenir ! », s’offusque Mahamadou Diouara, du cabinet Gaaya, spécialiste des questions sécuritaires. Aussi, une partie des mouvements signataires et des communautés du nord qui s’estiment lésées par ce redécoupage ont-elles d’ores et déjà annoncé vouloir boycotter ce processus.
Et comme l’explique Ibrahim Maïga, chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS) de Bamako (ISS), les modalités de cette régionalisation expliquent en grande partie le blocage de l’accord d’Alger : « Certains des mouvements armés signataires conditionnent les progrès sur le plan sécuritaire aux avancées qu’ils veulent au préalable obtenir sur le plan institutionnel. » « Aujourd’hui, les gens ont l’impression que les groupes armés, qui n’ont pour légitimité que d’avoir pris les armes, sont en train de se tailler une part politique et administrative, complète Ousmane Sy, ancien ministre de la décentralisation. Cela encourage l’armement de nouveaux groupes. »
Un désarmement incertain
Fin 2018, un processus de désarmement des anciens combattants, point de départ vers une refonte de l’armée, a été engagé. Mais le rapport du Centre Carter évoque des « retards considérables » dans sa mise en œuvre. L’enregistrement des 36 900 anciens combattants maliens est terminé. Mais d’aucuns craignent que cette liste ne soit gonflée. « Il y a des gens qui essaient de profiter des avantages du DDR [désarmement, démobilisation et réintégration]. En réalité, il y a moins de 16 000 personnes réellement armées », assurait un officiel malien au Monde Afrique, en novembre 2018. Depuis, les points d’interrogation se multiplient quant au succès de l’opération. D’autant que, dans le centre du Mali, un autre processus de désarmement a été amorcé : 5 000 combattants s’y seraient aujourd’hui inscrits.
Paradoxalement, les conflits armés, djihadistes comme intercommunautaires, se poursuivent, au nord et au centre. Entre le 1er janvier et le 16 février, la Mission des Nations unies au Mali (Minusma) dit avoir documenté sept incidents, ayant entraîné la mort d’au moins 49 civils, dans le centre. Au nord, l’attaque terroriste du camp onusien d’Aguel’Hoc, le 20 janvier, rappelle la capacité de nuisance des groupes djihadistes. Avec dix casques bleus tués, cet assaut est le plus meurtrier jamais connu par la Minusma, implantée au Mali depuis 2013.
Doubles jeux
Aux Nations unies, des suspicions de complicité avec les commanditaires de cette attaque se font jour. « Parmi ceux qui nous combattent, ceux qui commettent ces forfaitures, il y a aussi des gens qui sont parmi nous, qui observent nos faits et gestes. Il est temps d’interroger notre capacité d’anticipation. Il est également temps de revisiter notre collaboration et coopération avec les mouvements signataires de l’Accord qui sont pourtant présents dans ces régions du nord », avait déclaré Mohamed Saleh Annadif, le représentant spécial de l’ONU au Mali, lors de la cérémonie d’hommage aux dix soldats tombés.
Trois signataires de l’accord de paix ont par ailleurs été pour la première fois sanctionnés par le Conseil de sécurité des Nations unies, en décembre 2018. Ils ont été accusés d’entrave à l’accord de part leurs liens avec des entreprises terroristes. A Bamako, cette annonce n’a pas surpris grand monde. Ce double jeu était en coulisse dénoncé depuis des mois par nombre d’observateurs maliens. « Tout le monde se fourvoie avec cet accord. Depuis qu’il a été signé, les gens n’en cherchent que les retombées. Chacun a les yeux rivés sur les dividendes de la paix sans réellement chercher à appliquer le texte », estime Ousmane Sy.
Quant aux populations et aux internationaux, ils ne sont pas non plus dupes, comme le souligne le rapport du Centre Carter : « Certains membres la société civile et de la communauté internationale nous ont raconté leur exaspération face à la lenteur de la mise en œuvre et à la perception – erronée – des représentants maliens que le processus est une fin en soi et que le financement international continuerait indéfiniment. »
Front social agité
En 2019, les parties maliennes se sont pourtant engagées à réaliser l’essentiel des dispositions de l’Accord. Une des plus importantes, au cœur du volet politique et institutionnel, a été annoncée par le gouvernement. La révision de la Constitution est attendue au printemps. La nouvelle loi fondamentale malienne, qui sera soumise à référendum, devrait consacrer la création d’un Sénat, censé permettre aux communautés du nord d’être mieux représentées. Mais, là encore, le gouvernement n’aura pas la tâche facile. En 2017, lors d’une première tentative de révision, il avait été contraint de reculer face à des manifestations de milliers de Maliens.
Deux ans plus tard, une partie de l’opposition reste contre. Quant au front social, il est agité depuis des mois. Magistrats, enseignants, cheminots et syndicats de travailleurs ont multiplié les grèves, n’excluant pas de les renouveler cette année. Dans ce contexte social instable, des doutes émergent sur la faisabilité de la révision constitutionnelle. « Elle est aujourd’hui la condition sine qua non pour la réussite de l’accord », insiste pourtant le Centre Carter. « C’est le serpent qui se mord la queue, glisse une source diplomatique. On frôle le blocage institutionnel. C’est un vrai bazar, personne n’y comprend plus rien. Ni nous, ni même l’Etat. »