Au Nigeria, l’humoriste Mr Jollof fait campagne en pidgin
Au Nigeria, l’humoriste Mr Jollof fait campagne en pidgin
Le Monde.fr avec AFP
Candidat aux élections législatives du 23 février, Freedom Atsepoyi, de son vrai nom, veut atteindre les populations pauvres et les jeunes.
L’humoriste Mr Jollof est candidat aux élections législatives du 23 février, dans l’Etat du Delta, au sud du Nigeria. / DR
Pour toucher le grand public, l’humoriste Mr Jollof a pris le parti de lui parler dans le langage de la rue. Candidat aux élections législatives du samedi 23 février au Nigeria, il a mené sa campagne en pidgin, une langue devenue branchée, mais considéré avec dédain par la vieille garde politique.
Le pidgin, qui n’a ni grammaire ni orthographe ni dictionnaire, avait ces dernières années fait son entrée à la télévision, à la radio ou sur le Net, dans les pubs ou dans la musique. L’audace de Mr Jollof, Freedom Atsepoyi de son vrai nom, a été de l’introduire dans le monde corseté de la politique nigériane. Un bon moyen pour toucher les plus de 75 millions de personnes au Nigeria qui parlent cette langue, équivalente d’un créole ouest-africain traversant les lignes ethniques et religieuses, appris dans la rue pas à l’école.
Avec son air de jeune homme de 31 ans comme les autres (crane rasé, jean, tee-shirt), Mr Jollof n’a parlé quasi exclusivement qu’en pidgin durant sa campagne pour le mandat de député de sa ville natale, Warri, dans l’Etat du Delta (sud). Son compte Instagram est suivi par 354 000 abonnés et ses vidéos, dans lesquelles il se moque avec humour des hommes politiques nigérians accusés de mauvaise gouvernance, ont été visionnées des dizaines de milliers de fois. Dans l’une d’elles, il critique les élus pour le peu de développement touristique dans l’Etat du Delta, l’un des plus riches au monde en pétrole et l’un des plus pauvres du pays.
Considéré comme la langue des pauvres
La classe politique établie n’a pas vu cela d’un bon œil, y compris dans un Etat pourtant considéré comme le foyer du pidgin au Nigeria. Un responsable du Parti populaire démocratique (PDP), principal parti d’opposition dans le pays mais au pouvoir dans le Delta, a estimé que l’humoriste n’était pas qualifié pour participer aux législatives et que les postes gouvernementaux ne pouvaient revenir à des « débutants ».
Avant de devenir la langue des gens « cool », il y a encore quelques années, le pidgin était considéré comme la langue des pauvres, des gens peu éduqués des campagnes, qu’il valait mieux de pas parler pour faire bonne impression. Inspiré du portugais (les premiers Européens arrivés sur les côtes d’Afrique de l’Ouest), de l’anglais (langue des colons), mais aussi du patois de la Jamaïque (des anciens esclaves revenus sur le continent), le pidgin a évolué au gré de l’histoire et des modes.
Pour Mr Jollof, son utilisation était de fait aussi une manière d’atteindre les pauvres. « Je peux venir et leur balancer une grammaire de première », explique-t-il à l’AFP dans son petit bureau de campagne installé dans un centre commercial. Mais « je pense que les gens que je vais représenter à la Chambre des représentants comprennent et acceptent davantage le pidgin ».
Faire campagne dans sa peau d’amuseur
Le jeune homme se présente au nom d’un nouveau petit parti, le Congrès de l’action africaine (AAC), pour affronter le PDP qui contrôle quasiment tous les sièges de l’Etat. Plutôt que d’adopter le style du candidat collet monté, il a préféré faire campagne dans sa peau d’amuseur, dans un pays où l’âge moyen est de 18 ans, s’attirant de larges foules de partisans parmi les jeunes.
Il a su les séduire, estime Toye Sokunbi, journaliste au Native Magazine. « Les gens sont fatigués du style vieille école des politiciens, explique-t-il. Ce type est si drôle et si plein d’esprit. Il est l’un des rares hommes politiques dans ce pays à dire la vérité, ce qui explique pourquoi les jeunes l’aiment bien. » Humoriste populaire et décontracté mais sérieux, insiste Freedom Atsepoyi, qui a pris pour la scène le nom du plat préféré des Nigérians à base de riz pimenté. « Je n’y vais pas pour me marrer, j’ai déjà un nom, je veux juste y aller et changer la vie de la population de Warri », précise-t-il.