Galaxy Fold, Huawei Mate X, Flexpai… Les nouveaux smartphones pliables sont-ils vraiment solides ?
Galaxy Fold, Huawei Mate X, Flexpai… Les nouveaux smartphones pliables sont-ils vraiment solides ?
Par Nicolas Six (envoyé spécial à Barcelone)
Lors du Mobile World Congress à Barcelone, nous avons enquêté sur la résistance aux agressions du quotidien des smartphones pliables de Samsung, Huawei et Royole.
Ce sont deux pièces d’orfèvrerie électronique qui se toisent, à une vingtaine de mètres de distance, au centre du Mobile World Congress, l’immense salon du smartphone de Barcelone (Espagne). Deux smartphones pliables comme des livres : le Samsung Galaxy Fold (annoncé le 20 février) et le Huawei Mate X (dévoilé en introduction du Mobile World Congress). Des innovations qui paraissent tellement stratégiques pour l’avenir de l’industrie du mobile qu’elles disposent, chacune, d’un garde de sécurité au visage sévère, qui fait respecter les distances de sécurité.
De fait, aucun média n’a encore eu la possibilité de prendre en main le Galaxy Fold, et seule une petite poignée de journalistes occidentaux ont pu tester directement le Huawei Mate X. Au point que les mauvaises langues s’interrogent sur le niveau de maturité de ces produits qui doivent être commercialisés dans les prochains mois.
Interne ou externe ?
Beaucoup de professionnels ont remarqué une différence-clé entre ces deux smartphones pliables. Samsung a abrité l’écran souple de son Galaxy Fold à l’intérieur du smartphone, alors que Huawei l’a placé à l’extérieur, un choix qui augmente la surface de l’écran.
Si le mobile de Samsung est moins impressionnant au premier coup d’œil, il a probablement été le plus difficile à concevoir des deux, selon un chef de produit de la marque TCL, Antoni Toscano. Ce dernier présente à Barcelone sur le stand de TCL deux prototypes d’écran pliable. Le premier se replie vers l’intérieur, comme le Samsung, le second vers l’extérieur, comme le Huawei :
Antoni Toscano nous précise :
« Lorsqu’on place un écran souple sur l’extérieur d’un smartphone, sa conception est assez simple : il suffit, lorsqu’on le ferme, de lui faire suivre la courbe naturelle de sa charnière. Mais si on place l’écran à l’intérieur du mobile, lorsqu’on ferme sa charnière, l’écran se replie en angle beaucoup plus serré, et casse. Il faut trouver une solution pour qu’il se replie moins brutalement en suivant une courbe large et progressive, ce qui est très difficile. »
Un point confirmé par Samsung dans une interview au site spécialisé The Verge. Les écrans souples modernes sont prévus pour résister à des années de pliage et de dépliage, à condition que l’angle du pli soit doux. Dans ces conditions, pourquoi Samsung a-t-il placé son écran à l’intérieur du Galaxy Fold ?
Selon Georges Hadziioannou, coordinateur d’ELORPrintTec, un laboratoire d’impression de matériaux organiques qui travaille depuis plus d’une décennie sur les écrans souples, la marque coréenne a joué la carte de la prudence. Les écrans souples étant en plastique, et plus sujets aux griffes et à l’usure que les écrans classiques, les placer à l’intérieur de l’appareil permet de mieux les protéger. Un porte-parole de Samsung a confirmé cette hypothèse : « Notre sentiment est que la meilleure façon de protéger cet écran est de le placer à l’intérieur », ce qui dispense le Fold d’une coque de protection.
Un accessoire dont le mobile pliable de Huawei, lui, ne pourra se passer. Lors de la présentation du Mate X à Barcelone, l’appareil était pourvu d’une coque de protection recouvrant une bonne moitié du smartphone en position pliée. Le côté et l’arrière de l’écran se retrouvent masqués par cet appendice, qui complique le dépliage du Mate X.
Le Flexpai résiste aux chutes
Ce pari de Huawei est-il risqué ? Pour en avoir le cœur net, nous nous sommes faufilés dans une contre-allée du salon, sur le stand beaucoup plus discret de Royole, le premier fabricant à avoir lancé un smartphone pliable fin 2018, le Flexpai, depuis en vente en Chine. Sa conception est proche de celle du Huawei Mate X : son écran est situé sur la face externe du mobile. Royole a longuement répondu à nos interrogations sur la solidité de son smartphone pliable, et nous a même laissés jouer à l’apprenti sorcier en faisant tomber son smartphone à plat depuis la hauteur d’une poche sur un sol lisse.
Le Flexpai a parfaitement survécu au test. Le démonstrateur de Royole a ensuite passé sa clé sur l’écran du mobile, en appuyant seulement très légèrement, sans parvenir à abîmer sa surface. Ce petit test sommaire constitue en soi une fort bonne nouvelle : les smartphones pliables ne semblent pas fragiles comme du cristal.
Pas question, cependant, de tester un impact avec un coin de table. Par le passé, le démonstrateur de Royole a déjà abîmé un Flexpai avec un choc comparable, faisant définitivement virer quelques pixels au noir. Pas question non plus de laisser le Flexpai dans une poche avec une clé pendant une heure ou plus. C’est l’un des rares scénarios pour lesquels le PDG de Royole, Bill Liu, concède un risque de dommages supérieur à celui d’un smartphone classique.
Des défauts inhérents aux écrans souples
Comment expliquer ces faiblesses propres aux écrans pliables ? Sans entrer dans l’univers complexe de la durabilité, il est à noter que le problème principal tourne autour du matériau de l’écran. Pour les smartphones classiques, le verre est incontournable : tant qu’il ne casse pas, il plie très peu, et protège l’écran des chocs. En outre, le verre résiste beaucoup mieux aux contacts avec des objets coupants et durs comme des clés.
Mais il est impossible de recouvrir un écran souple d’une épaisse couche de verre : elle casserait. La solution, pour les constructeurs, est donc de se résoudre à l’utilisation du plastique, qui, jusqu’à preuve du contraire, reste moins protecteur.
Le Flexpai en position repliée. L’écran de ce modèle de Royole est intégralement en plastique, un matériau bien moins protecteur que le verre. / NICOLAS SIX / LE MONDE
Le PDG de Royole souligne cependant que l’écran du Flexpai est constitué de dizaines de couches de plastiques empilées sur quelques millimètres. Leur fonction est à la fois de protéger l’avant de l’écran, de détecter les mouvements des doigts de l’utilisateur, d’émettre de la lumière, de véhiculer l’électricité et les informations numériques, de protéger l’arrière de l’écran, etc.
Il concède qu’il a fallu des années de travail pour rendre ce sandwich de haute technologie résistant aux impacts : le Flexpai a subi des dizaines de tests de solidité, y compris des tests de torsion et de pression destinés à vérifier que la charnière, qui comporte plus de cent composants, résiste aux petites agressions de la vie quotidienne. « Sur la très grande majorité de ces tests, le Flexpai s’est comporté mieux, ou aussi bien, qu’un smartphone ordinaire », avance Bill Lui – sans qu’on puisse encore le confirmer avec nos propres tests.
La souplesse a aussi du bon
Autant de précautions qui rappellent que le concept même de smartphone pliable divise encore les observateurs. Le PDG de la marque chinoise Oneplus, Pete Lau, a expliqué au Monde à Barcelone ne pas avoir encore engagé le développement d’un tel smartphone. Selon lui, le Galaxy Fold reste « un produit qui n’est pas mûr », même avec son écran pliable en interne. Pete Lau pointe les petites irrégularités de l’écran du Galaxy Fold une fois déplié, que nous avons également constatées sur le stand de Samsung.
Par ailleurs, une fois plié, les deux parties de l’écran ne se replient pas parfaitement l’une sur l’autre : elles restent séparées par quelques millimètres de vide. De fait, une clé ou une petite pièce pourrait se glisser dans cet interstice et abîmer l’écran.
Mais le chercheur Georges Hadziioannou reste optimiste :
« Des fabricants comme Samsung ont des protocoles de tests de solidité très rigoureux. Un produit qui n’y satisfait pas n’est pas commercialisé. Je vois mal un géant de l’électronique tolérer un taux de retour supérieur à 2 %. »
Reste que, lorsqu’on parle d’un smartphone pouvant coûter de 1 300 euros (pour le Flexpai de Royole) à 2 000 euros (selon les prix annoncés des modèles de Samsung et Huawei), la moindre prise de risque sera difficile à tolérer, pour les constructeurs comme pour les utilisateurs.