Général Blachon : « La situation sécuritaire est critique dans la zone sahélienne »
Général Blachon : « La situation sécuritaire est critique dans la zone sahélienne »
Propos recueillis par Morgane Le Cam (Gao, envoyée spéciale)
Le commandant de la force « Barkhane » revient sur les succès et les défis qui attendent les 4 500 soldats français déployés au Sahel depuis bientôt cinq ans.
Le général Frédéric Blachon, commandant de la force « Barkhane » (à gauche), en compagnie du premier ministre Edouard Philippe, à Gao, au Mali, le 24 février 2019. / ALAIN JOCARD / AFP
Il est l’un des hommes-clés de la lutte antiterroriste au Sahel. Depuis le 1er août 2018, le général Frédéric Blachon est le nouveau commandant de la force française « Barkhane ». Ce 24 février, il a accueilli le premier ministre Edouard Philippe et la ministre des armées Florence Parly à Gao, la base d’appui permanente de « Barkhane » au nord du Mali.
Depuis bientôt cinq ans, les 4 500 soldats français de la force se battent sur un territoire vaste comme l’Europe contre des « groupes armés terroristes ». Mais comme l’a rappelé le premier ministre français, face aux trois stèles érigées au camp de Gao en hommage aux 24 soldats tués lors des opérations depuis 2013, « le combat n’est pas terminé ». En marge de cet hommage, le général Blachon est revenu en exclusivité pour Le Monde Afrique sur les récentes opérations de « Barkhane » et les défis qui attendent la plus importante mission extérieure de l’armée française.
La semaine dernière, le ministère français des armées a annoncé la mort du n° 2 du Groupement de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), l’Algérien Djamel Okacha, alias Yahya Abou Al-Hammam. Pouvez-vous nous en dire plus sur l’opération ?
C’est l’aboutissement d’une longue traque, dans la région de Tombouctou, face à un adversaire qui était à la tête de l’un des groupes terroristes les plus virulents de la zone. L’opération du 21 février montre une fois de plus à nos adversaires que ce n’est pas parce que nous sommes très présents dans le Liptako-Gourma, à la frontière entre le Mali et le Niger, que nous n’intervenons pas ailleurs.
Quel est le bilan de « Barkhane » pour 2018 ?
2018 est l’année qui a le bilan le plus positif sur le plan militaire depuis 2014. Et nous poursuivons sur cette lancée. Le 23 février, « Barkhane » a frappé dans le Macina. Une quinzaine de terroristes djihadistes ont été neutralisés. Sur le plan politique, le bilan 2018 est également positif. Nous avons vraiment vu des avancées s’agissant de la mise en œuvre du processus de paix au Mali. L’autre aspect positif majeur est la poursuite de l’engagement de la communauté internationale au profit du Mali. Il est exceptionnel, et peu de pays auront bénéficié d’autant d’appuis militaires pour retrouver la stabilité.
Certains dénoncent un fossé entre cet engagement inédit et les progrès réalisés sur le terrain…
Le fameux mot « enlisement » a beaucoup de succès. La difficulté est que nous vivons dans une époque qui attend des résultats immédiats et qui ne sait plus ce que le mot patience signifie. Il est classique qu’une opération militaire ait moins de rendement après des débuts très dynamiques. Au moment de l’opération « Serval » [lancée le 11 janvier 2013], l’ennemi acceptait de se dévoiler. Par la suite, ses attaques sont devenues plus insidieuses et ont privilégié les actions de harcèlement. Il est donc devenu plus difficile à localiser. Mais les choses changent et nous parvenons à lui porter des coups régulièrement.
Un des succès majeurs de « Barkhane » depuis votre prise de commandement est l’annonce de la mort probable d’Amadou Koufa, dans le centre du Mali. Aujourd’hui, quelle est la capacité de nuisance de la katiba Macina ?
Elle reste importante. C’est l’une des katibas les plus dangereuses dans la mesure où ses effectifs sont importants et qu’elle adopte une stratégie quasi insurrectionnelle en s’attaquant aux représentants de l’Etat et aux symboles de l’autorité.
Les conflits intercommunautaires et terroristes se multiplient au centre du Mali. Pourquoi « Barkhane » n’y intervient pas davantage ?
Nous avons déjà beaucoup de choses à faire du côté du Liptako et du Gourma. C’est là que nous concentrons nos efforts. Il serait contre-productif de nous disperser et c’est l’armée malienne qui s’occupe du centre. De même, nous ne sommes pas présents partout dans le grand nord du pays. A un moment donné, avec une force de 4 500 hommes, le principe de réalité s’applique. Nous conservons cependant la capacité d’agir partout, en coordination avec les forces armées maliennes.
Quel est l’avenir pour « Barkhane » ? Allons-nous vers une réduction des effectifs ?
Pour l’instant, la mission reste inchangée car, malgré nos succès réguliers, les menaces demeurent bien réelles. L’ennemi est toujours présent et la résilience dont il fait preuve est connue et parfaitement prise en compte.
Dans la zone de Ménaka, des critiques sont formulées à l’encontre de « Barkhane » par certaines élites peules. Elles estiment que l’alliance de la force avec les groupes maliens à majorité touareg MSA (Mouvement pour le salut de l’Azawad) et Gatia (Groupe d’autodéfense touareg Imghad et alliés) est un signe de partialité. Que leur répondez-vous ?
Nous ne parlons pas à des communautés mais à des mouvements. « Barkhane » traite avec tout le monde et nous sommes prêts à travailler avec tous ceux qui s’opposent aux terroristes. La force fait tout ce qu’elle peut pour rejeter l’instrumentalisation des conflits intercommunautaires et rester la plus impartiale possible. Impartiale, cela veut dire que « Barkhane » rappelle régulièrement ses engagements à toutes les forces qui ne respecteraient pas leurs promesses signées et le droit des conflits armés. Nous le faisons régulièrement, y compris à ces groupes.
Pour vous, quelle zone menace le plus la stabilité du Sahel ?
Le Burkina Faso fait face à de nombreuses menaces. Depuis plusieurs mois, les actions terroristes s’y multiplient. A la demande du gouvernement burkinabé, « Barkhane » commence à mener des opérations sur place, en coopération avec les forces burkinabées afin de contrer ces terroristes.
Fin décembre 2018, des accords pour renforcer la coopération militaire ont été signés entre les autorités françaises et burkinabées. Comment cela va-t-il se traduire sur le terrain ?
Ce sont justement ces accords qui permettent au Burkina Faso et à la France de travailler efficacement ensemble pour mener des opérations. Ces accords nous permettent, si le Burkina Faso le souhaite et à sa demande, de pouvoir agir de la même manière que ce que nous faisons au Mali. Mais nous n’en sommes qu’au début.
Pensez-vous que les autorités burkinabées manquent de volonté politique ?
Pas du tout ! Je ne suis pas là pour juger mais pour agir. On fait face à un adversaire particulièrement coriace. La situation sécuritaire est critique dans la zone sahélienne et les autorités burkinabées savent qu’elles peuvent compter sur le soutien de la France et de l’opération « Barkhane ».
Les opérations civilo-militaires de « Barkhane » (creuser des puits, rénover des écoles…) soulèvent aussi les critiques. Nombre d’humanitaires estiment que ce n’est pas aux militaires de faire du développement. Que leur répondez-vous ?
« Barkhane » ne fait pas de développement, mais conduit des actions civilo-militaires pour aider dans l’urgence les populations. La force ne fait que créer les conditions du retour à la stabilité. Elle facilite le travail des acteurs du développement en leur faisant bénéficier de ses connaissances relatives à la sécurité et aux besoins dans la zone. On peut souligner que les liens de confiance entre l’Agence française de développement [partenaire du Monde Afrique] et les armées françaises n’ont jamais été aussi étroits.