Reprise : le retour de « WarGames » et du premier hackeur du cinéma
Reprise : le retour de « WarGames » et du premier hackeur du cinéma
Par Thomas Sotinel
Le film de John Badham de 1983 autour d’un lycéen qui pénètre le réseau de l’arsenal nucléaire américain, dans une ambiance de fin de guerre froide, ressort en salle.
En 1982, on comptait 621 000 ordinateurs personnels aux Etats-Unis. L’invasion des foyers américains par ces machines encombrantes et disgracieuses progressait si rapidement que Hollywood ne put faire autrement que de s’en emparer. Ainsi naquit en 1983, un nouveau type de héros, le nerd, incapable de neutraliser ses ennemis d’un atémi bien placé, doué de talents peu cinégéniques, dont la traduction à l’écran se résume à l’image d’un visage anxieux penché sur un écran pendant que – généralement hors champ – les doigts voltigent sur le clavier.
Premier de ces surdoués en informatique et premier des hackeurs, le nerd avait les traits de Matthew Broderick, 20 ans lors du tournage de WarGames, qui vient de ressortir en salle. Comédie adolescente et préfiguration de l’apocalypse nucléaire, le film de John Badham a bien vieilli. Il évoque une époque où l’on redoutait plus un conflit nucléaire entre les Etats-Unis et l’Union soviétique que la fonte des calottes glaciaires, où les ordinateurs avaient moins de mémoire qu’un four à micro-ondes d’aujourd’hui. Pourtant, en jetant deux adolescents dans les rouages d’un monde qui se refuse à leur garantir leur survie – pour ne rien dire de leur avenir –, le scénario très habile de Lawrence Lasker et Walter F. Parkes reste d’une étonnante actualité.
David Lightman (Broderick) est l’un des premiers spécimens d’une espèce qui va bientôt envahir la planète. Lycéen dans un établissement de Seattle, il passe son temps dans sa chambre avec son ordinateur (un Imsai 8080, puisque vous posez la question). A l’aide d’un modem acoustique, il a trouvé le moyen de changer ses notes en entrant dans le système du lycée et se sert de ce talent pour tenter de séduire une camarade de classe (Ally Sheedy).
En se promenant sur les réseaux – qui n’étaient pas encore Internet – à la recherche d’un nouveau jeu vidéo, David se connecte avec un programme nommé Joshua qui lui propose de jouer à un war game (en français kriegspiel, mot emprunté à l’allemand).Or, un prologue terrifiant a montré deux officiers de l’US Air Force dans un silo au moment où la consigne arrive de lancer un missile sur l’Union soviétique. L’un des deux hommes a refusé, provoquant le remplacement des militaires par un logiciel baptisé WOPR. L’instigateur de cette opération est l’incarnation récurrente de la médiocrité dans le cinéma américain de l’époque, Dabney Coleman.
Ce qui suit tient à la fois de la course-poursuite, de la romance adolescente (Matthew Broderick et Ally Sheedy étaient alors à peu près inconnus, mais déjà à croquer) et du plaidoyer antinucléaire. Sur le plateau de WarGames, John Badham avait remplacé au pied levé Martin Brest, futur réalisateur du Flic de Beverly Hills. Auréolé du succès de La Fièvre du samedi soir, Badham s’était engagé auprès du studio MGM/United Artists à corriger l’orientation trop apocalyptique que Martin Brest voulait imprimer au film.
Un numéro d’équilibriste
Ce qui donne un numéro d’équilibriste, sur un fil tendu entre Dr. Folamour et La Folle Journée de Ferris Bueller. Si invraisemblable que soit la situation, Matthew Broderick se glisse dans son personnage de teenager obligé de regarder le sort du monde droit dans les yeux avec une subtilité qu’on n’attend pas de tous les lycéens, eussent-ils 20 ans.
Quelque temps après sa sortie américaine, en juin 1983, à Camp David, Ronald et Nancy Reagan consacrèrent l’une de leurs soirées à une projection de WarGames. Le mercredi suivant, à la Maison Blanche, le président, qui venait de lancer son initiative de défense antimissile depuis l’espace, baptisée Star Wars, raconta le film à ses conseillers et à des parlementaires.
Comme l’a relaté le New York Times dans son édition du 19 février 2016, généraux et congressmen écoutèrent Ronald Reagan avec une impatience condescendante, jusqu’à ce qu’il leur demande : « Est-ce que c’est possible ? » – est-ce que l’on peut pénétrer nos systèmes informatiques ? Une semaine plus tard, le général Vessey, chef d’état-major, lui soumettait un rapport alarmant, scellant ainsi le début de la guerre numérique et la place de WarGames dans l’histoire.
WarGames Official Trailer #1 - Dabney Coleman Movie (1983) HD
Durée : 02:20
Film américain de John Badham (1983). Avec Matthew Broderick, Dabney Coleman, Ally Sheedy (1 h 54). Sur le Web : www.swashbuckler-films.com/wargames.html