Le président nigérian, Muhammadu Buhari, pose avec des membres de sa famille à Abuja, le 27 février 2019, après sa réélection. / Handout . / REUTERS

Alliances, trahisons, assassinats, magie noire (parfois), argent (toujours) et coups de théâtre inattendus… Tous les ingrédients d’un bon film de Nollywood sont là : « Je pourrais faire au moins 100 films inspirés de la politique nigériane », s’amuse le réalisateur Ike Nnaebue. La dernière saga de l’élection présidentielle, prévue le 16 février puis reportée d’une semaine quelques heures avant l’ouverture des bureaux de vote, ne peut que lui donner raison.

Pendant une semaine, des rebondissements dignes des films d’espionnage les plus grossiers ont rythmé le quotidien du pays le plus peuplé d’Afrique : accusations de sabotage à grande échelle, achats de votes en masse, fourgons blindés remplis de billets de banque qui arrivent chez les responsables des partis politiques en pleine nuit, arrestation d’opposants par la police anti-corruption… « C’est du cinéma, tout ça, et je pense qu’en tant que conteurs d’histoires, il en va de notre responsabilité de le raconter, confie le réalisateur à l’AFP. C’est à nous de commencer le débat et de faire bouger les lignes. »

Avec 190 millions d’habitants au Nigeria et de plus en plus de spectateurs sur le continent africain ou parmi la diaspora, Nollywood est désormais la deuxième industrie cinématographique au monde en nombre de films produits (devant Hollywood et derrière Bollywood, en Inde). Son impact est immense.

« Autocritique »

Dans Dr Mekan, satire sortie en 2018, Ike Nnaebue raconte l’ascension politique d’un « repat », le nom donné aux Nigérians ayant grandi ou vécu longtemps à l’étranger et qui reviennent vivre dans leur pays d’origine, souvent déconnectés de sa réalité. « Il arrive à peine des Etats-Unis, avec plein de grandes idées, et se porte candidat au poste de gouverneur de l’Etat d’Anambra [sud-est], raconte le réalisateur. Il a de bonnes intentions mais il ne comprend pas les règles de la politique au Nigeria : la politique de l’estomac. »

Dans une scène d’anthologie, le candidat à l’élection promet à une foule de partisans de dynamiser l’agriculture dans l’Etat et d’y développer la culture du riz. On l’acclame, mais, peu à peu, le bruit court parmi la foule que son rival offre à manger dans son meeting de campagne ; et tout le monde court pour aller chercher son sac de riz… importé de Chine. Dans une autre scène, l’équipe du candidat distribue des billets de banque à la foule pendant que le docteur Mekan met en garde les jeunes contre « l’effet destructeur de l’argent sur les consciences ».

« Les spectateurs rient devant ce film, c’est une autocritique : de nos politiciens, mais aussi de nous-mêmes, conclut Ike Nnaebue. Il faut qu’on commence à réaliser ce qui ne va pas dans notre pays pour le changer, et Nollywood est un outil important. »

« Bling-bling »

C’est également ce qui a motivé Mike-Steve Adeleye en écrivant le scénario de son dernier film, Code Wilo, sorti à Lagos début mars. Lui n’a pas choisi l’humour mais l’action pour dénoncer la politique nigériane, et notamment le principe des « parrains » qui adoubent ou détruisent les aspirants candidats. « En fait, on regarde la politique nigériane comme si on regardait un film. Les citoyens de ce pays sont des spectateurs de ce grand théâtre qu’est la politique, explique le réalisateur. Le scénario est écrit à l’avance. »

Dans son nouveau film, le parrain du parti au pouvoir d’un Etat nigérian annonce que sa fille sera candidate pour devenir la prochaine gouverneure, sans même consulter sa base ou les électeurs. « J’espère que la fin du film fera réfléchir les politiciens. Que ça les hantera et qu’ils commenceront à se poser des questions sur ce qu’ils font à notre pays », espère-t-il.

Au Nigeria, la culture a longtemps été cantonnée à un rôle de divertissement. Mais depuis un ou deux ans, de nombreux artistes comme les rappeurs M.I. ou Falz font des tournées pour sensibiliser la jeunesse à voter ou à demander des comptes à leurs dirigeants. Les choses commencent à changer sur la scène musicale, mais au cinéma « c’est toujours l’argent qui domine le marché, c’est bling-bling », regrette Mike-Steve Adeleye : « On ne peut pas continuer comme ça. C’est de pire en pire. En tant qu’Africains, nous avons une histoire à raconter, une histoire qui aura un impact sur la société. »