Une centaine de surveillants bloquent la maison centrale de Condé-sur-Sarthe, près d’Alençon (Normandie), le 6 mars 2019. / SIMON AUFFRET / « Le Monde »

Tout au long de la journée, seule la fumée des pneus incendiés a traversé les grilles de la maison centrale de Condé-sur-Sarthe (Orne), au lendemain de l’attaque au couteau de deux surveillants pénitentiaires dans l’établissement, l’un des plus sécurisés de France. Dès 5 heures du matin, mercredi 6 mars, plus d’une centaine de surveillants ont installé un barrage empêchant l’accès à la prison, laissant les équipes régionales d’intervention et de sécurité (ERIS) et une partie de l’équipe de nuit assurer la sécurité des cent quinze détenus.

« L’atmosphère est morose », souffle Frédéric Bescon, secrétaire national du Syndicat pénitentiaire des surveillants (dit « SPS Pénitentiaire ») venu soutenir la mobilisation de « Condé ». Il était déjà surveillant à l’époque des deux derniers morts déplorés dans la profession, en août 1992 à Rouen puis en septembre de la même année dans le centre pénitentiaire de Clairvaux (Aube). « On connaît les risques du métier, on sait que l’on est exposé, glisse un surveillant de la maison centrale sarthoise, soumis au devoir de réserve. Mais ce n’est pas une raison pour accepter que ce type d’événement se produise. »

« Il disait toujours “Bonjour surveillant” »

Le nom de Michaël Chiolo, auteur de l’attaque au couteau avec sa compagne, Hanane Aboulhana, n’est jamais prononcé par les surveillants. Mais tous l’ont de près ou de loin côtoyé lors de son incarcération à Condé-sur-Sarthe. « Je le supervisais lors de son travail à l’atelier, et je n’avais rien remarqué », rapporte Jean-Eric Klenkle, du SNP-FO (Syndicat national pénitentiaire-Force ouvrière), syndicat majoritaire parmi les surveillants :

« Il était très correct, disait toujours “Bonjour surveillant” avant de remonter dans sa cellule ou faire du sport. »

« Il était trop correct », ironise un de ses collègues, convaincu que le détenu n’a fait que masquer sa radicalisation.

Derrière le barrage de palettes et de pneus, un sentiment de lassitude se mêle à la tristesse de savoir deux collègues blessés, hospitalisés depuis mardi après avoir reçu plusieurs coups de couteau. Leurs jours ne sont pas en danger. « Depuis les blocages de l’année dernière, on a l’impression que pas grand-chose n’a changé », déplore un surveillant de 35 ans, en poste au quartier disciplinaire de la prison.

« Nos revendications sont les mêmes : plus de sécurité, plus d’équipements, et plus d’écoute de la part de l’administration pénitentiaire. »

Le gilet pare-couteau, qui permet de se prémunir d’attaques à l’arme blanche ou de coups, revient à plusieurs reprises dans les discussions : à Condé-sur-Sarthe, les surveillants spécialisés (travaillant auprès de détenus radicalisés ou au quartier disciplinaire) en sont équipés, mais pas ceux chargés des parloirs et des unités de vie familiale (UVF), dans l’une desquelles s’est déroulée l’attaque terroriste de mardi. « Nos deux collègues ne seraient pas dans cet état avec cette protection », lance une surveillante. « Il n’a jamais été question de le généraliser, tempère un collègue. Le niveau de protection dépend de la dangerosité du service. »

« La hantise » du couteau de céramique

En début d’après-midi, une mission de l’inspection générale des services pénitentiaires se présente à la porte de la prison, avec l’intention de procéder aux premières constatations de l’enquête interne après l’attaque. « C’est avant qu’il fallait venir nous voir, maintenant c’est trop tard », lance un homme. « Est-ce qu’on les laisse entrer ? », demande un autre à l’assemblée : « Non ! », répondent d’un bloc les surveillants. Quelques heures plus tôt, les policiers d’Alençon avaient fait face au même refus unanime de procéder au déblocage.

Plusieurs surveillants disent aussi avoir déjà vu des détenus en possession de couteaux en céramique, décrits comme « la hantise des surveillants » : invisibles lors des passages au détecteur de métaux, ils ne peuvent être interceptés quand ils sont portés par des visiteurs, que les surveillants n’ont pas le droit de fouiller. « Les gens s’offusquent de la possibilité d’être fouillés en prison, alors qu’ils le sont dès qu’ils se rendent à l’aéroport », s’étonne l’un d’entre eux, pour qui l’encadrement de ces contrôles doit être revu.