La sécurité des unités de vie familiale en question après l’attentat de la prison de Condé-sur-Sarthe
La sécurité des unités de vie familiale en question après l’attentat de la prison de Condé-sur-Sarthe
Par Allan Kaval
La sécurité de ces espaces pose question après qu’un détenu a profité d’une visite de sa compagne pour mener une attaque terroriste contre deux surveillants, mardi.
C’est au sein d’une unité de vie familiale (UVF) qu’a eu lieu l’attaque terroriste menée par le détenu Michaël Chiolo et sa compagne Hanane Aboulhana contre deux surveillants, mardi 5 mars à la prison de Condé-sur-Sarthe (Orne). Ce type d’espace reproduisant un appartement de deux ou trois pièces a été créé en 2003. Il permet aux détenus de recevoir leurs proches dans un environnement similaire à celui d’un logement ordinaire.
L’utilisation des UVF est généralement considérée comme ayant des effets positifs sur le climat en détention et les parcours de réinsertion. Mais les mesures de sécurité qui encadrent leur fonctionnement posent question au lendemain de l’attaque de mardi. L’une des hypothèses est qu’Hanane Aboulhana ait pu introduire au sein de l’UVF, dont les visiteurs ne sont pas fouillés sans leur accord, un couteau en céramique indécelable par les détecteurs de métaux de la prison.
Des espaces destinés au maintien des liens familiaux
Les UVF constituent le dispositif le plus poussé mis en œuvre par l’administration pénitentiaire dans le cadre de sa mission de maintien des liens entre les détenus et leur entourage. Plus intimes que les parloirs, échappant totalement à la surveillance des personnels, ces espaces se présentent comme des appartements meublés de 50 m2 à 80 m2, situés dans l’enceinte des établissements pénitentiaires, mais en dehors des zones de détention.
Les détenus peuvent y recevoir leurs conjoints, leurs familles ou leurs amis, et ce à l’abri des regards, pour des durées allant de six heures à soixante-douze heures. Permettant aux détenus de conserver une vie sexuelle, une vie de famille et une vie sociale, ils leur offrent aussi la possibilité de renouer avec des gestes simples du quotidien. On y prend des douches quand on le souhaite, on y prépare soi-même ses repas.
La loi pénitentiaire de 2009 avait prévu leur généralisation, mais les UVF – créées en 2003 après quelques années d’expérimentation – n’existaient au 1er décembre 2018 que dans cinquante établissements pénitentiaires français, d’après les chiffres du ministère de la justice.
Un dispositif d’abord destiné aux personnes condamnées
Toutes les personnes détenues peuvent en principe bénéficier de visites au sein des UVF. Toutefois, explique au Monde l’Observatoire international des prisons (OIP), de tels dispositifs n’existent que dans des établissements de peines, où sont détenues des personnes déjà condamnées, à l’exclusion donc des maisons d’arrêt, où les détenus attendent leurs procès.
Pour organiser une visite en UVF, les détenus et leurs proches doivent effectuer une double demande qui est, pour les personnes condamnées, soumise à une décision du chef de l’établissement. Une enquête est menée préalablement par les services de la prison. Le comportement de Michaël Chiolo, qualifié de « normal » par l’administration pénitentiaire, n’avait pas attiré l’attention des personnes habilitées à lui délivrer une autorisation d’UVF.
Des contrôles plus souples
Censées, par définition, créer un cadre intime pour les détenus et leurs proches, les UVF échappent à la surveillance du personnel pénitentiaire en dehors de contrôles de présence ponctuels, menés à heures fixes. Selon l’OIP, l’intérieur n’est ni filmé ni sonorisé.
Si le détenu doit subir une fouille intégrale avant de s’y rendre, les visiteurs ne sont tenus qu’à un passage au détecteur de métaux. Aucune fouille ne peut être menée sans leur accord. C’est pour cette raison qu’Hanane Aboulhana est soupçonnée d’avoir pu introduire dans l’UVF l’arme utilisée lors de l’attaque de mardi.
Le jour même, la ministre de la justice, Nicole Belloubet a annoncé avoir saisi l’inspection générale de la justice pour comprendre comment le couteau en céramique avait pu échapper aux contrôles, la prison de Condé-sur-Sarthe étant considérée comme une des plus sécurisées de France.
Pour le coordinateur du pôle enquête de la section française de l’OIP, François Bès :
« Après cette attaque, on peut s’attendre à ce que les contrôles qui régissent l’accès aux UVF soient durcis pour répondre aux revendications des personnels. »
Des résultats jugés positifs
Alors que la création des UVF, il y a plus de quinze ans, avait été fortement critiquée par des surveillants pénitentiaires, le bilan de la mise en place de ce dispositif est considéré comme positif par l’OIP.
« Les rapports d’évaluation qui ont été rédigés depuis 2003 montrent que les UVF ont eu des effets positifs à l’intérieur et à l’extérieur des prisons », selon Stéphane Bès, qui précise que les personnels de surveillance ont rendu compte eux-mêmes d’un effet disciplinaire efficace :
« Les UVF contribuent à faire baisser la tension dans les établissements pénitentiaires, non seulement parce que les moments partagés avec leurs proches permettent aux détenus de se sentir mieux, mais parce qu’un détenu en attente d’UVF est incité à faire profil bas pour voir sa demande aboutir. »
La nature particulière de l’UVF comme espace intermédiaire où, dans l’enceinte de la prison, on vit selon les codes, les gestes et les rythmes de l’extérieur, permet aux détenus de préparer leur sortie et donc leur parcours de réinsertion en « limitant la brutalité de la rupture entre les deux mondes », poursuit-il : « L’UVF est le seul lieu de l’univers pénitentiaire où l’existence du détenu redevient quelque chose qui ressemble à la vraie vie. »