Trois questions sur le naufrage du « Grande-America » au large de La Rochelle
Trois questions sur le naufrage du « Grande-America » au large de La Rochelle
Par Simon Auffret
Deux larges nappes d’hydrocarbures ont été repérées en mer après que le navire italien a sombré dans l’Atlantique, mardi. Les autorités craignent une pollution des côtes françaises.
Le navire « Grande-America » en flammes avant son naufrage dans le golfe de Gascogne, à 333 km des côtes françaises, le 12 mars. / LOÏC BERNARDIN / MARINE NATIONALE / AP
« Nous suivons avec évidemment beaucoup, beaucoup, beaucoup d’attention la situation » : le premier ministre, Edouard Philippe, a tenu à montrer sa préoccupation face au risque de pollution des côtes françaises après le naufrage du navire roulier et porte-conteneurs Grande-America.
Deux jours après son naufrage, à 333 km à l’ouest de La Rochelle, deux nappes d’hydrocarbures ont été repérées par un avion de surveillance en direction des côtes françaises. Si l’ampleur de la pollution ne peut pas dépasser celle du naufrage de l’Erika par exemple (6 000 tonnes de fioul avaient été dispersées, en 1999, contre au maximum 2 200 tonnes pour le Grande-America), les objets présents dans les conteneurs ainsi que le carburant pourraient venir s’échouer, progressivement, sur le littoral atlantique.
Qu’est-ce qui a provoqué le naufrage ?
Parti du port allemand de Hambourg, le Grande-America se dirigeait vers Casablanca (Maroc) quand un incendie s’est déclaré dans un « garage », s’étendant à un pont supportant une partie des 365 conteneurs du navire. Ce dernier transportait par ailleurs de nombreux véhicules. Le capitaine a prévenu les autorités françaises, avant de leur indiquer d’abord que l’incendie était maîtrisé et qu’il continuait sa route pour une escale en Espagne, afin d’inspecter le bateau.
Mais quelques heures plus tard, le navire a appelé de nouveau à l’aide, l’équipage n’ayant pu ralentir les flammes. A 2 heures, dans la nuit de dimanche à lundi, le capitaine a décidé de quitter le navire avec l’équipage à bord d’une embarcation de sauvetage : les vingt-six membres du personnel et un passager ont été secourus par une frégate britannique, détournée sur la zone.
Le « Grande-America » a coulé à 333 km des côtes françaises. / INFOGRAPHIE " LE MONDE"
Trois embarcations françaises se sont ensuite succédé pour tenter d’éteindre l’incendie, sans succès. Deux jours plus tard, mardi 12 mars, le navire a sombré par 4 600 mètres de fond.
L’incendie pourrait ne pas être la cause principale du naufrage : selon des experts interrogés par le site d’information spécialisé TradeWinds, ce serait en fait l’eau projetée sur le bateau pendant de longues heures par les embarcations venues l’aider qui aurait fini par faire chavirer le Grande-America. Un effet de « carène liquide » incontournable, le poids de l’eau décalant le navire de son centre de gravité, qui a déjà été observé lors de la lutte contre des incendies sur d’autres porte-conteneurs par le passé.
Le navire était-il défectueux ?
C’est l’argument porté notamment par l’association de défense de l’environnement Robin des bois, qui souhaite porter plainte contre X pour comprendre les responsabilités respectives des armateurs, de l’équipage ou des secours dans ce naufrage. Le Grande-America, qui navigue depuis 1997, avait fait l’objet depuis sa sortie d’usine de quarante contrôles, dont plusieurs avaient constaté des déficiences, parfois importantes.
La base de données Equasis, de l’Agence européenne pour la sécurité maritime (EMSA), fait notamment état d’une détention de neuf jours au port de Tibury (Royaume-Uni) en 2010, une mesure prise uniquement quand les conditions ne sont pas réunies, selon les contrôleurs, pour que le bâtiment reprenne la mer. Cette année-là, quatorze des trente-cinq déficiences constatées concernaient des mesures de sécurité incendies.
Contrôlé pour la dernière fois à Hambourg, en octobre 2018, le Grande-America ne s’est vu reprocher que trois défauts de règlement, dont l’un concernait la « rétention du fioul à bord » pour éviter la pollution. Selon Yannick Le Manac’h, ancien inspecteur des affaires maritimes et auteur d’une étude sur les incendies des porte-conteneurs, l’état de santé intrinsèque du navire n’est pas le facteur déterminant de ce type d’accident :
« Des incendies comme celui du “Grande-America” peuvent intervenir autant sur des navires neufs que sur des navires anciens. Le principal problème est donc le chargement : on ne sait jamais vraiment ce qu’il y a dans les conteneurs et la qualité du conditionnement des matières dangereuses. »
Pour l’expert de l’agence de protection du littoral breton (Vigipol), les contrôles subis par le Grande-America, nombreux, sont par ailleurs notables sans être inhabituels : « Une visite sans découvrir aucun problème, c’est là qu’on commence à se poser des questions », explique l’ancien contrôleur.
Quels sont les risques de pollutions ?
En plus des 2 200 tonnes de fioul de propulsion contenues dans ses soutes, le Grande-America transportait 365 conteneurs, dont 45 de matières répertoriées comme « dangereuses », ainsi que de nombreux véhicules.
Deux larges nappes d’hydrocarbures ont été repérées, se dirigeant vers le littoral français, mais celles-ci ne représentent pas l’intégralité du fioul du navire : elles vont faire l’objet d’opérations de pompage, mais des résidus devraient atteindre les côtes en début de semaine prochaine, les conditions météorologiques rendant, pour l’instant, toute intervention difficile.
« Le risque de pollution sur les côtes est aléatoire, sporadique, et pourrait continuer sur une longue période », analyse Sophie Bahé, directrice de Vigipol, chargée en Bretagne de conseiller les collectivités sur la prise en charge des pollutions du littoral. Le contenu des conteneurs ayant pu se déverser dans la mer, les déchets peuvent être de plusieurs natures : de simples objets, des traces de produits chimiques, en plus des résidus d’hydrocarbures.
« Les côtes impactées vont du sud de la Bretagne à la Gironde. L’ampleur des conséquences sur l’environnement ne sera pas celle d’une marée noire, mais la concomitance des types de pollution peut rendre cette gestion complexe », explique Mme Bahé. La préfecture maritime de l’Atlantique a décidé, dès le mardi 12 mars, de mettre en demeure l’armateur Grimaldi Group pour « prendre toutes les mesures nécessaires pour concourir à la lutte contre les pollutions ».
Les plus grosses marées noires au large de la France / Amoco Cadiz, Erika, Torrey-Canyon, Tanio, Olympic-Bravery, Glino et Team Castor, Amazzone, Boehlen, Grande America / INFOGRAPHIE "LE MONDE"