Après le massacre à Christchurch, la Nouvelle-Zélande va durcir sa législation sur les armes
Après le massacre à Christchurch, la Nouvelle-Zélande va durcir sa législation sur les armes
Par Isabelle Dellerba (Sydney, correspondance)
Sur l’ile de 5 millions d’habitants, entre 1,2 et 1,5 million d’armes, pour la plupart non enregistrées, sont en circulation.
Devant la mosquée Al Noor à Christchurch, le 18 mars. / Vincent Thian / AP
En achetant deux fusils semi-automatiques, deux fusils de chasse et un fusil à pompe, Brenton Tarrant n’a enfreint aucune loi néo-zélandaise. Pourtant, c’est grâce à cet arsenal particulièrement létal que, vendredi 15 mars, le terroriste a tué 50 personnes et en a blessé 50 autres dans deux mosquées du centre-ville de Christchurch.
Le pire massacre de l’histoire récente du pays. « Ce que je peux vous dire, c’est que notre législation sur les armes va changer », a indiqué dès le lendemain de l’attentat islamophobe la première ministre travailliste, Jacinda Ardern. Lundi 18 mars, elle a promis que son gouvernement présenterait des propositions de réformes dans les dix jours.
Un nombre élevé d’armes en circulation
La législation actuelle, intitulée Arms Act et adoptée en 1983, dispose qu’il faut un permis pour acheter une arme. Il en existe de différents types. Le permis standard, dit de « catégorie A », s’applique à la plupart des armes en vente – soit plus de 2000 –, dont certains fusils semi-automatiques. Il est délivré à l’issue d’un processus s’étalant sur plusieurs mois et au cours duquel les autorités passent au crible le profil du demandeur, qui doit suivre des séances d’instruction : casier judiciaire, consommation de drogue et fréquentations. Elles interrogent également l’individu concerné ainsi que deux de ses proches. Une fois délivré, le permis est valable pendant dix ans.
Cette loi a été durcie en 1992 après une tuerie de masse qui avait coûté la vie à 13 personnes à Aramoana, sur l’île du sud. Les fusils semi-automatiques militaires dotés notamment de chargeurs à grande capacité ont été placés sous « catégorie E ». Ce permis de port d’armes est plus difficile à acquérir.
« Il s’agit de lois restrictives qui se concentrent surtout sur le contrôle et l’éducation du demandeur, explique l’avocat néo-zélandais Nicholas Taylor, spécialiste de la question. Depuis 1990, il n’y avait plus eu de tuerie de masse dans le pays. » Malgré le nombre élevé d’armes en circulation – entre 1,2 et 1,5 million, dont près de la moitié seraient des semi-automatiques, pour une population de 5 millions d’habitants –, la Nouvelle-Zélande est considérée comme l’un des pays les plus sûrs au monde avec 35 homicides en 2017, selon la police.
Devant la mosquée Al Noor à Christchurch, le 18 mars. / Vincent Yu / AP
« Il est temps de procéder à ce changement »
Cette législation comporte néanmoins de graves lacunes que le carnage de Christchurch a dramatiquement mises en lumière. Tout d’abord, la dangerosité de Brenton Tarrant, jusqu’alors inconnu des services de renseignements, n’a pas été détectée. Les experts estiment que les autorités devraient étudier avec davantage de minutie le profil de la personne demandant une autorisation de port d’armes.
Ensuite, si l’Australien a pu obtenir son permis de « catégorie A » en novembre 2017 et s’entraînait régulièrement dans un club de tir au maniement du fusil d’assaut AR-15, il a transformé illégalement cette arme en un fusil semi-automatique militaire de « catégorie E » sans aucune difficulté. Pour cela, il lui a suffi d’acheter dans une armurerie des chargeurs de grande capacité – en vente libre.
Enfin, plus de 90 % des armes dans le pays ne sont pas enregistrées. Ce n’est pas obligatoire pour celles qui appartiennent à la « catégorie A ». Dès lors, tout détenteur d’un port d’armes peut se constituer un véritable arsenal sans attirer l’attention des autorités. Brenton Tarrant n’a même pas eu besoin de se déplacer pour se procurer ses fusils. Il les a tout simplement achetés en ligne sur le site Internet de la chaîne Gun City.
« Il y a eu des tentatives pour changer nos lois en 2005, en 2012, et après une enquête [parlementaire] en 2017. Maintenant, il est temps de procéder à ce changement », a déclaré vendredi la chef du gouvernement, Jacinda Ardern, qui envisage notamment d’interdire les fusils semi-automatiques.
Devant la mosquée Al Noor à Christchurch, le 18 mars. / Vincent Yu / AP
« Ce n’est pas en adoptant une nouvelle loi stupide que l’on va régler les problèmes, s’insurge d’ores et déjà Mike Loder, qui tient le blog Internet pro-armes néo-zélandais Gun Blog. Les terroristes peuvent utiliser d’autres moyens comme des voitures-béliers, des camions. Et si ces armes sont interdites, elles vont circuler sur le marché noir. »
Depuis vingt-sept ans, le lobby de la chasse est parvenu à empêcher toute tentative significative de réforme. Cette activité est non seulement un passe-temps très populaire en Nouvelle-Zélande, mais elle permet aussi depuis des siècles de protéger la biodiversité en empêchant la prolifération d’espèces invasives.
L’attentat de vendredi pourrait changer la donne. En 1996, l’Australie avait ainsi réussi à vaincre l’opposition des lobbys à la suite au massacre de Port-Arthur, qui avait fait 35 victimes. Le gouvernement avait alors considérablement durci la législation et était parvenu à collecter en quelques mois plus de 650 000 fusils à pompes, fusils de chasses et autres semi-automatiques grâce à un programme de rachat des armes devenues illégales.
La Nouvelle-Zélande sous le choc après un attentat contre deux mosquées
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