La polémique enfle en Tunisie après la mort de 15 nourrissons dans une maternité
La polémique enfle en Tunisie après la mort de 15 nourrissons dans une maternité
Par Lilia Blaise (Tunis, correspondance)
Des médecins ont lancé sur les réseaux sociaux une page « Balance ton hôpital » appelant à dénoncer les dysfonctionnements du système de la santé publique.
Service des prématurés dans la maternité de l’hôpital Wassila-Bourghuiba de la Rabta, à Tunis, le 11 mars 2019. / FETHI BELAID/AFP
Le bilan du drame des nourrissons morts entre les 6 et 8 mars dans un hôpital de Tunis s’est alourdi. Alors que l’annonce initiale en dénombrait douze, Mohamed Douagi, médecin et président de la commission d’enquête médicale sur cette tragédie survenue à la maternité Wassila-Bourguiba de l’hôpital de la Rabta, a confirmé le décès de quinze bébés. Treize d’entre eux ont perdu la vie des suites d’une infection nosocomiale contractée lors de l’injection de nutrition par voie intraveineuse. Des analyses sont encore en cours pour les deux autres bébés.
Ce drame a soulevé une profonde émotion en Tunisie, où la dégradation du système de santé publique est une source récurrente de controverse. « C’est une mort inévitable lorsqu’il y a ce genre d’infection, a déclaré Mohamed Douagi. Peu importe que cela se passe en Tunisie, en Amérique ou ailleurs. » Le président de la commission d’enquête a précisé que les analyses étaient toujours en cours et que de nouveaux résultats seraient communiqués le 27 mars. La maternité Wassila-Bourguiba comptait vingt-deux nourrissons prématurés au moment des faits. Le 11 mars, les autorités n’avaient annoncé que douze cas de décès, les trois autres n’étant alors pas encore connus. Ce n’est que lorsque les parents ont porté plainte, déclenchant de nouvelles enquêtes du parquet, jeudi 14 mars, que la commission a pu établir des similarités dans leur mort avec celle des douze autres bébés.
Dès le 6 mars, un premier décès avait été déclaré, qui n’avait pas alerté les médecins, car « c’est habituel » dans un service de prématurés, a indiqué M. Douagi. Il a fallu attendre le surlendemain, avec l’annonce de nouveaux décès, pour que la thèse d’une infection généralisée prenne corps, selon le président de la commission d’enquête, qui a admis qu’il y avait bien eu une « défaillance humaine ». « Nous ne savons pas encore à quelle étape du processus », a-t-il toutefois ajouté.
« Laxisme »
Confronté à une opinion publique choquée, le gouvernement a tenu à réagir. Trois hauts cadres du ministère de la santé ont été démis de leurs fonctions, jeudi. Le ministre de la santé avait quant à lui démissionné dès la révélation des faits. Le chef du gouvernement Youssef Chahed a admis, mercredi, à l’issue d’une réunion avec le ministère de la santé et les représentants de plusieurs hôpitaux, l’existence de « problèmes de plusieurs types dans les hôpitaux publics ». Il a notamment cité « la corruption », « le laxisme » et « l’impunité ». Il a pris l’engagement de « protéger le secteur de la santé publique » afin que cela « ne se reproduise plus ».
Des médecins ont lancé en réaction au drame une page Facebook, « Balance ton hôpital », sur les réseaux sociaux où ils partagent des photos et des témoignages de leurs conditions de travail dans le public. Beaucoup montrent des hôpitaux dans un état délabré ou racontent des conditions d’hygiène déplorables, notamment dans les blocs opératoires. Certains patients ont également partagé leurs témoignages sur cette page. « L’idée est de créer une véritable interface où chacun peut témoigner et partager son expérience, nous ne voulons plus être silencieux par peur de représailles, il faut que tout le monde parle librement de ce qui va mal dans les hôpitaux », déclare Aymen Bettaieb, vice-président de l’Organisation des jeunes médecins.
La controverse est devenue brûlante en Tunisie sur la dégradation de la santé publique. Deux émissions de télévision portant sur le drame de la maternité Wassila-Bourguiba ont été interdites de diffusion, jeudi, par le juge d’instruction sur la base de l’article 109 de la Constitution tunisienne qui « proscrit » toute « ingérence dans le fonctionnement de la justice ». Le Syndicat des journalistes tunisiens a réagi en dénonçant « une violation » de « la liberté de la presse et d’opinion », elle aussi inscrite dans la Constitution. Le syndicat va jusqu’à fustiger la « censure » et le « retour » de pratiques autoritaires.