« L’homme qui a surpris tout le monde » : se travestir en femme face à la mort
« L’homme qui a surpris tout le monde » : se travestir en femme face à la mort
Par Mathieu Macheret
Natasha Merkulova et Aleksey Chupov filment une fable sociale inspirée du folklore sibérien pour dénoncer l’homophobie.
Dans un petit village de la taïga sibérienne, Egor (Evgeniy Tsyganov), garde forestier, traque les braconneurs et mène une vie de famille paisible, jusqu’à ce qu’on lui découvre une maladie incurable. Sa femme Natalia (Natalia Koudriachova), affolée, l’entraîne voir tous les guérisseurs possibles, du médecin moscovite à la vieille chamane, sans que rien n’y fasse. Dans la forêt, la magicienne lui conte l’histoire du légendaire Zhamba, héros qui trompa la mort en se déguisant. Egor la prend au mot et, du jour au lendemain, se travestit en femme, suscitant la haine des villageois et l’incompréhension de ses proches.
Après un premier long-métrage (Lieux intimes, 2013), Natasha Merkulova et Aleksey Chupov, couple de réalisateurs russes à la ville comme derrière la caméra, empruntent les détours de la fable sociale et du folklore sibérien, pour mieux contribuer à brouiller les contours du masculin et du féminin. Dans ce geste exorbitant et inexpliqué d’un homme qui choisit de devenir autre à l’approche de la mort, se livrant ainsi à la vindicte populaire, le film trouve une façon habile et batailleuse de braver l’interdiction législative de la « propagande homosexuelle » en Russie, à laquelle est évidemment soumise la production cinématographique, et de dénoncer intolérance et homophobie.
On peut toutefois regretter que la mise en scène ne rende pas vraiment justice à l’audace de ce geste comme à sa puissance de déflagration. L’avant comme l’après du travestissement d’Egor sont accueillis avec le même réalisme grisâtre, déconfit et imperturbable, qui a surtout pour effet d’égaliser toutes les scènes. La métamorphose appelait un véritable changement de registre, sans quoi le virage du film, basculant alors d’un sujet à l’autre (de l’agonie à la réinvention de soi), laisse un sentiment de passage en force. Subtils mais imperceptibles, Merkulova et Chupov demeurent aussi bien cachés sous leur film qu’Egor sous son costume de femme.
Film estonien, français et russe de Natasha Merkulova et Aleksey Chupov. Avec Evgeniy Tsyganov, Natalia Koudriachova, Iouri Kouznetsov, Pavel Maykov (1 h 44). Sur le Web : jhrfilms.com/lhommequiasurpristlm