Fin février, Milad Mohamad parcours la zone désertique d’Al-Hamada Al-Hamra pour récolter des « terfas », des truffes blanches de Libye, qui seront ensuite vendues sur un marché des environs de Zinten. / AFP

En Libye, des ramasseurs de truffes blanches bravent l’insécurité et le froid du désert, à la recherche de ce précieux champignon, convoité par la population locale mais aussi par les riches pays du Golfe, où il est considéré comme un produit de luxe.

Milad Mohamad, un sexagénaire, entreprend chaque année la même randonnée dans le désert libyen où presque rien ne pousse, sauf quelques herbes… et des truffes, qui se développent sous le sable par l’effet combiné de la pluie et du froid nocturne.

Appréciées en Libye depuis l’époque romaine, ces truffes blanches ou, comme les appellent les habitants d’Afrique du Nord, les terfas, dérivé du nom latin Terfezia leonis, sont également utilisées en médecine traditionnelle.

« Manne du ciel »

A bord d’un pick-up ou à pied, Milad Mohamad sillonne Al-Hamada Al-Hamra, dans la province de Nalout, une région désertique particulièrement aride, à environ 500 km au sud-ouest de Tripoli. Derrière son volant, ce « chasseur » aguerri repère les truffes enterrées sous le sable à des dizaines de mètres.

Parfois, il stoppe son véhicule et parcourt à pied un secteur propice. Une fois les truffes repérées, il lui suffit de gratter délicatement le sol à la main ou avec sa canne pour les extraire.

De novembre à mars, Milad Mohamad parcours la zone désertique d’Al-Hamada Al-Hamra pour récolter des « terfas », des truffes blanches de Libye. Le précieux champignon pousse à la faveur de quelque pluie et du froid des nuits du désert. / AFP

M. Mohamad reste discret sur sa capacité à discerner à l’œil nu les bons endroits, mais loue sans cesse les vertus du suc du champignon contre certaines maladies oculaires… et celles de la cueillette pour se changer les idées.

« A vrai dire, ce n’est pas mon métier mais plutôt une passion, comme une thérapie et une purification du brouhaha de la ville », explique-t-il en allumant sa cigarette devant la tente qu’il a dressée à la tombée de la nuit pour s’abriter du froid glacial. C’est « un endroit beau et rude à la fois, où l’on se sent si isolé », ajoute-t-il.

Infatigable, il parcourt des dizaines de kilomètres à pied, s’arrêtant régulièrement pour siroter un thé fort et très sucré, qu’il fait mijoter sur les braises.

Pour lui, « rien ne vaut la satisfaction de creuser la terre à mains nues pour extraire ces délicieuses truffes », une « manne du ciel » qu’il s’empressera de vendre une fois rentré dans sa ville de Zinten, à environ 300 km au nord.

Très recherchée pour sa valeur nutritionnelle et pour son goût, la truffe blanche a vu son prix tripler ces dernières années en Libye, en raison de conditions climatiques défavorables mais aussi de l’insécurité dans le pays depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011.

Mais, cette année, la récolte a été suffisamment abondante pour faire baisser considérablement les prix de gros, passés de 130 dinars (environ 29 euros) le kilo en début de saison, à 80 dinars (17,70 euros) pour les meilleures truffes, selon un commerçant.

« Grande qualité »

Près de Zinten, sur la route qui mène à Al-Hamada Al-Hamra, se dresse une petite tente qui fait office de marché de gros de la truffe des sables. Comme Milad Mohamed, d’autres ramasseurs y arrivent au terme de randonnées éprouvantes de plusieurs jours.

Khaled Abdelwahed, 46 ans, a passé quatre nuits dans le désert et rapporte un sac de 8 kg. Il ne cache pas sa déception devant le prix proposé par un négociant algérien, qui traverse chaque année la frontière à la saison des truffes du désert, de novembre à mars.

Sur le marché de Ben Guardane, du côté tunisien de la frontière libyenne, Amara Labiadh, 60 ans, vend le stock de truffes blanches qu’il a acheté en Libye. / FETHI BELAID / AFP

« Nous avons enduré un froid terrible mais ce commerçant nous les achète à un prix dérisoire pour ensuite les revendre beaucoup plus cher, se désole-t-il. Le négociant fait plus de bénéfices que nous, alors qu’il est assis au chaud sous sa tente. Ce sont les commerçants et les riches consommateurs qui en profitent (…) alors que nous n’en mangeons que quelques grammes avec nos familles pour pouvoir vendre le plus gros de la récolte. »

Le négociant Khalifa Al-Sahraoui se défend de réaliser un profit important sur le dos des cueilleurs : « Nous achetons les truffes pour les revendre à d’autres commerçants. »

Un autre négociant, Abdallah Miloud, renchérit : « Nous vendons à des intermédiaires qui, à leur tour, les revendent à l’étranger. Nous ne sommes pas impliqués dans cette partie de la transaction. » Selon lui, la truffe blanche libyenne est « d’une grande qualité » et est très « recherchée dans les pays du Golfe ».

Il n’existe aucune statistique officielle sur le volume d’exportation de ces champignons libyens. Mais « ce qui est sûr », selon Abdallah Miloud, « c’est que la truffe blanche a sauvé plusieurs familles qui étaient dans le besoin ».