Voix d’orientation. « Le Monde Campus » et La ZEP, média jeune et participatif, s’associent pour faire témoigner lycéens et étudiants sur leurs parcours d’orientation. Aujourd’hui, Assitan, 22 ans, étudiante en école de commerce à Nantes. Elle raconte le sentiment de décalage qu’elle ressent dans son établissement, et le cheminement qui l’a amenée à chercher une autre voie porteuse de sens.

Si tout va bien, je serai diplômée de mon école de commerce en juillet. Ma première année fut incroyable. Je me suis abandonnée dans la culture de l’école et j’ai adopté son mode de pensée : alcool, soirées, profiter, ne pas étudier. Après deux années d’internat et de prépa, je découvrais une nouvelle vie étudiante. Excitante. Nos aînés nous poussaient en ce sens : nous devions nous lâcher, et nous intégrer dans la promo en participant à tous les événements proposés.

A ce moment-là, l’école représentait pour moi, comme pour tous les autres, ce par quoi je me définissais en premier. Les chants, les vêtements, les amis et les activités : tout était lié d’une façon ou d’une autre à l’école. Alors oui, les associations du campus sont variées : tous les sports sont proposés, on a un club de littérature, de cinéma, de couture, de danse, d’écriture, et d’autres. Mais on se « laissait intégrer », et on s’investissait dans les associations populaires, celles les plus liées à la promo. Le sport par exemple permet de défendre l’école lors de compétitions interétablissements, le BDE (bureau des étudiants) permet d’être en première ligne lorsqu’il s’agit d’événements sociaux. Le club de littérature ? Aucun intérêt, même si j’adorais lire avant d’arriver.

L’école de commerce, une nouvelle famille

Les années d’école sont présentées par les anciens étudiants, les profs et nos parents comme les meilleures années dans une vie. Alors on ne veut surtout pas passer à côté. Pour être sûre de bien faire, je me suis jetée à corps perdu dans cette expérience. Et puis je me suis découvert une nouvelle famille, avec qui je partageais cette envie de profiter et de m’amuser.

Puis, je suis sortie de ce milieu pour effectuer mon premier stage. Et j’ai réalisé que les mois que je venais de passer étaient à part. De septembre 2015 à mai 2016, j’avais vécu dans un microcosme. Nous avions tous les mêmes cours, plus ou moins les mêmes intérêts et le même mode de vie. Notre vie tournait autour de l’école, des soirées, de nos associations, des événements et de nos cours insipides. Mais la vraie vie, ce n’était pas ça. En start-up, j’ai découvert la vie et le quotidien des jeunes actifs qui m’étaient inconnus. Ils avaient chacun leur personnalité, leurs hobbies, activités, sorties, et, surprenant, aucune réflexion identitaire, ni aucun besoin de se revendiquer de telle ou telle formation.

En passant du temps avec eux et en apprenant à vivre à Paris en tant qu’active, j’ai réalisé à quel point j’avais été dans une bulle détachée de la vie réelle, comprenant quelques centaines de personnes côtoyées quotidiennement. Toujours les mêmes endroits, les mêmes sorties et les mêmes façons de se comporter. J’étais déterminée à revenir changée. L’esprit « école » me repoussait. Je le trouvais plutôt ridicule : il ressemblait à un mécanisme m’ayant ramolli le cerveau.

Quand je suis rentrée en deuxième année, certains avaient eu la même réflexion que moi. D’autres non. On voyait bien la différence. Certains d’entre nous n’avaient aucune envie de retourner en open bar et en événements associatifs. D’autres se réadaptaient très facilement au moule. Sans pour autant créer des clans, cela a créé de nouvelles soirées, plus « chill » comparées aux soirées de « sauvages » de l’année précédente.

De « l’hypocrisie pure »

Durant cette année, j’ai eu l’impression d’atteindre un certain équilibre. Je n’avais plus seulement l’école dans ma vie mais d’autres événements, un groupe d’amis consolidé et de nouvelles préoccupations sur mon futur. C’était agréable : j’avais le sentiment d’avoir évolué et appris sur moi-même. Ce sentiment s’est encore plus exacerbé lorsque je voyais les nouveaux « première année » agir comme je l’avais fait moi-même un an auparavant. Cela m’a convaincu que l’école exerçait un véritable formatage sur ses étudiants. Ces étudiants reproduisaient au geste près les comportements et discours que j’avais pu tenir l’année passée.

Ma dernière année est arrivée. A ce moment-là, je m’interrogeais de plus en plus sur mon avenir. D’un côté, nous avions des cours de « responsabilité sociétale et environnementale des entreprises », mais de l’autre, nous étions incités à travailler pour de grands groupes industriels négligeant ces responsabilités. De l’hypocrisie pure. L’intervention en amphi de consultants d’un grand cabinet m’a fait comprendre que le formatage n’existait pas qu’en école. Ces consultants étaient un bel exemple de cadres dynamiques passionnés par l’audit et leur Rolex. Ils sortaient tous d’une école comme la mienne !

Le refus de la bulle

C’était pourtant ce même parcours et ces métiers qui m’attiraient lorsque j’étais en première année. Mais maintenant que j’ai vu l’envers du décor, il en est hors de question. J’ai réalisé que je n’avais aucunement envie de côtoyer ce genre de personnages. En rentrant dans une de ces entreprises, j’étais assurée de retourner dans une bulle. Un microcosme très similaire à celui que de mon école, où je retrouverais tous les « petits moutons » de ma promo, qui ne se posent aucune question et partent travailler dans l’agroalimentaire ou les « big four » sans mettre en question l’éthique de ces acteurs économiques.

L’école m’a paumée : tout ce que j’idéalisais en première année – être la star de la vie associative du campus, poursuivre une brillante carrière en consulting et bosser pour les géants de différentes industries – a été détruit au fil de mon parcours. Durant ma dernière année, j’ai rejoint la communauté MakeSense des paumé.e.s sur les réseaux sociaux. Je fréquente des personnes de mon école ayant eu le même cheminement que moi. Nous échangeons sur nos parcours, sur le sens qu’on leur donne et comment nous souhaitons évoluer, en mettant à profit notre enseignement pour changer les choses. Nous nous aidons à nous trouver, et c’est agréable de voir que nous sommes nombreux à penser de cette façon.

Je ne sais pas encore ce que je veux faire plus tard, et je me perds encore parfois un peu. Mais je sais ce que je ne veux pas. Surtout, je sais maintenant mettre le holà lorsque je sens le formatage pointer le bout de son nez. Je suis finalement un peu moins paumée dans ma vie qu’il y a trois ou quatre ans : cette expérience en école m’a permis de comprendre qui je suis et ce que je veux vraiment.

La zone d’expression prioritaire (ZEP) est un dispositif d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans par des journalistes professionnels. / ZEP

La zone d’expression prioritaire (ZEP) accompagne la prise de parole des 15-25 ans

La zone d’expression prioritaire (ZEP) est un dispositif d’accompagnement à l’expression des jeunes de 15 à 25 ans par des journalistes professionnels. Par l’intermédiaire d’ateliers d’écriture dans des lycées, universités, associations étudiantes ou encore dans des structures d’insertion, ils témoignent de leur quotidien et de l’actualité qui les concernent.

Tous leurs récits sont à retrouver sur Le Monde Campus et sur la-zep.fr.