Lieux de privation de liberté : un rapport dénonce la culture de l’enfermement
Lieux de privation de liberté : un rapport dénonce la culture de l’enfermement
Par Jean-Baptiste Jacquin
La contrôleuse générale des lieux de privation de liberté Adeline Hazan s’alarme du nombre record de personnes détenues, hospitalisées sans consentement ou placées en centre de rétention.
La France serait-elle prise d’une frénésie d’enfermement ? Adeline Hazan, à la tête du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), s’en alarme à l’occasion de la publication du rapport annuel de l’institution, mercredi 27 mars. Elle affirme avoir constaté au travers des visites effectuées dans des établissements et de l’examen des textes votés par le Parlement que « contrairement aux principes du droit français, l’enfermement devient la réponse à tous les maux de la société, à toutes les transgressions, volontaires ou involontaires, des règles ou des normes de la vie en commun ».
Aux termes de la loi, rappelle Mme Hazan, la prison est une peine de dernier recours, le placement d’étrangers en centre de rétention administrative ne peut intervenir qu’en l’absence d’autre solution, le placement sans consentement en hôpital psychiatrique ne peut être motivé que par des raisons médicales… Quant aux mineurs délinquants, c’est leur placement en unité éducative ouverte qui doit être privilégié. Or, écrit-elle, « pour chacune de ces catégories, le nombre de mesures d’enfermement est en augmentation et atteint des chiffres qui n’ont jamais connu de précédent ».
Selon la contrôleuse générale, de telles mesures de privation de liberté doivent rester « un dernier recours, mais en aucun cas une manière durable de protéger la société ». Car l’enfermement peut être synonyme de déshumanisation, d’atteintes à la dignité et à l’intégrité physique ou mentale.
Les conséquences de cette tendance sont d’autant plus dommageables que les moyens manquent aux administrations pour assumer ces missions. Ainsi, Mme Hazan dénonce « une culture sécuritaire qui ne cesse d’imposer de nouvelles contraintes », limitant de facto le droit à la santé, les droits de la défense, le droit à la réinsertion ou le droit au maintien des liens familiaux.
Confidentialité des courriers violée
En ce qui concerne les prisons, le CGLPL déplore une dégradation des conditions de détention imputable à la conjonction de trois facteurs : la progression de la surpopulation, le durcissement de la sécurité, et la dégradation des conditions de vie quotidienne. Par exemple, lors de visites de maisons centrales (pour les personnes condamnées aux longues peines), les équipes du contrôleur ont constaté une régression du régime « portes ouvertes » par rapport à ce qui était en vigueur dans ces mêmes établissements il y a quelques années. Sous ce régime carcéral, les détenus peuvent circuler librement dans la limite d’une coursive ou d’un étage pendant plusieurs heures par jour en plus de la promenade au lieu de rester enfermé en cellule vingt-trois heures sur vingt-quatre, selon le régime « portes fermées » en vigueur dans les maisons d’arrêts.
Autre signal inquiétant, la loi qui protège la confidentialité des courriers adressés par les détenus au Contrôleur général aurait été plusieurs fois violée en 2018.
« Dans une maison d’arrêt, le courrier adressé par une personne détenue au CGLPL a été ouvert par l’administration pénitentiaire et l’intéressé a été convoqué en audience par le chef d’établissement. Ledit courrier n’est d’ailleurs jamais parvenu au CGLPL », lit-on dans son rapport annuel.
Du côté de la psychiatrie et de l’hospitalisation sans consentement, Mme Hazan observe les mêmes dérives sécuritaires. « La potentielle dangerosité du malade, le plus souvent fantasmée, a pris une place grandissante » dans la pratique. Dans certains établissements, « les contrôleurs ont rencontré des mesures d’isolement prises dans une logique punitive ou par commodité pour le service ». De même, les personnes hospitalisées sans consentement sont le plus souvent placées dans des unités fermées, restreignant leur liberté d’aller et venir alors que leur situation médicale ne justifie pas de telles mesures.
Le CGLPL reconnaît que ces atteintes aux droits résultent aussi d’un manque d’effectifs dont souffrent eux-mêmes les surveillants pénitentiaires ou les personnels soignants.