« Sergio et Sergeï » : chronique comique et nostalgique d’un effondrement
« Sergio et Sergeï » : chronique comique et nostalgique d’un effondrement
Par Thomas Sotinel
Le réalisateur Ernesto Daranas imagine la rencontre, sur les ondes, d’un universitaire cubain et d’un cosmonaute soviétique.
En 1991, le salami hongrois et le fromage bulgare avaient disparu des étals cubains. Avant même que l’URSS se fût tout à fait disloquée, l’avant-poste latin du socialisme réellement existant était entré dans ces années de pénurie qui devaient laisser Cuba exsangue. La période est désormais assez lointaine pour qu’on en fasse une comédie. Celle que propose Ernesto Daranas, le réalisateur de Chala, une enfance cubaine, vise très haut et se prend un peu les pieds dans l’entrelacs de ses ambitions, qu’elles soient oniriques ou géopolitiques.
Le scénario s’inspire à la fois de la crise alimentaire et du sort des cosmonautes soviétiques qui durent prolonger leur séjour en orbite au moment de la tentative de coup d’Etat contre Mikhaïl Gorbatchev en 1991. Au sol, sous le soleil des tropiques, il y a Sergio (Tomas Cao), professeur d’université, radioamateur, aussi, qui pratique son hobby sous la stricte supervision des autorités. Là-haut, dans la station Mir, Sergeï (Hector Noas) essaie de comprendre ce que devient son Etat, qui dépérit, mais pas comme Lénine l’avait annoncé.
Sautes de tons
Unis par la magie des ondes, les deux hommes conversent sur la fin de leurs idéaux et sur le poids de la réalité. Peut-être parce que ce dialogue ne peut tout à fait aborder les thèmes qui fâchent (le sort des victimes de la répression, l’étouffement des créateurs), il fait intervenir un troisième larron en la personne d’un radioamateur conspirationniste incarné par Ron Perlman.
Cet élément, comme les séquences oniriques (le film est raconté à travers les souvenirs d’enfance de la fille de Sergio), mine la cohésion du film, dont les sautes de tons déconcertent souvent (la pression sécuritaire qui pèse sur les citoyens cubains est incarnée par un personnage purement grotesque, qui finit par être défait). Reste le parfum de souvenirs et de regrets qui enveloppe Sergio et Sergeï, expression d’une nostalgie pour un rêve dont on n’arrivait pas à se détacher, au moment même où il se défaisait.
Sergio & Sergei (Bande-Annonce)
Durée : 01:23
Film cubain d’Ernesto Daranas. Avec Tomas Cao, Hector Noas, Ron Perlman (1 h 33). Sur le Web : www.bodegafilms.com/film/sergio-et-sergei