A Toulouse, une certaine idée du mouvement perpétuel
A Toulouse, une certaine idée du mouvement perpétuel
Par Adrien Pécout (Toulouse, envoyé spécial)
Trouver l’espace, déplacer le ballon et l’adversaire plutôt que de se rentrer dedans : des professionnels aux équipes de jeunes, le Stade toulousain, qui affronte dimanche le Racing 92 en quart de finale de Coupe d’Europe, inculque un « référentiel commun ».
Sur la table, quelques vieux livres disposés pour l’occasion. Ici, un classique, photo en noir et blanc, titre en caractères gras : Rugby de mouvement, rugby total (EPS, 1979). Un ouvrage à ranger en bonne place dans les étagères du Stade toulousain. Son auteur, le Nordiste René Deleplace, n’a pourtant jamais porté les couleurs rouge et noir du club local.
Mais à Toulouse plus qu’ailleurs, des disciples ont su appliquer les préceptes du professeur d’éducation physique. Une esthétique en soi, un art de bien jouer qui consiste à « tirer [le rugby] de ses tranchées pour l’animer du mouvement perpétuel, offensif et défensif, dans le balancement de l’initiative personnelle et de l’adaptation collective ». Le résumé vient du préfacier, Pierre Villepreux, ancien arrière (1965-1975) et entraîneur (1982-1989) « stadiste ».
Trouver l’espace, déplacer le ballon et l’adversaire à force de passes plutôt que de se rentrer dedans : propos novateur, peut-être plus encore aujourd’hui, tant il semble à contre-courant de ce rugby professionnel qui fait la part belle aux collisions bêtes et méchantes. « Le fait de vouloir un mouvement perpétuel, de jouer debout, ça répond à une logique d’efficacité, ça crée des déséquilibres », soutient Yoann Faure, directeur sportif de l’association du Stade toulousain, chargé des équipes de jeunes.
Cette saison, l’équipe professionnelle du club lui donne aussi raison. Dimanche 31 mars après-midi, à Nanterre (Hauts-de-Seine), les Toulousains affronteront les Franciliens du Racing en quarts de finale de la Coupe d’Europe. Ils restent, par ailleurs, toujours en tête du championnat de France : quatorze matchs consécutifs sans défaites, record national.
Un projet de jeu allant des enfants aux adultes
Séance d'entraînement au stade Ernest-Wallon avec Franck Ayela entraîneur des cadets. Photo: Ulrich Lebeuf / Myop pour Le Monde / ULRICH LEBEUF / MYOP POUR LE MONDE
Au siège du club le plus titré de France (dix-neuf fois champion) et d’Europe (quatre fois, comme le Leinster), on fait valoir un projet de jeu allant des enfants aux adultes. « Voyez le couloir, c’est tout simple », résume Gérard Labbe, président de l’« asso », qui accueille des licenciés dès l’âge de 3 ans. De ce côté-ci, son propre bureau. Puis, celui du centre de formation. A l’autre bout de l’étage, le compartiment de Didier Lacroix, président de l’ensemble du club et donc de l’effectif professionnel. « Tout est dans le même couloir, ça pourrait être anecdotique, mais ça ne l’est pas. On se voit en permanence, si on a quelque chose à se dire, on n’est pas à des kilomètres. »
Mercredi, jour de vacances scolaires. Les cadets « première année » ont pris possession de la pelouse synthétique. Ils ont 14 et 15 ans, et déjà leur propre « staff » d’entraîneurs. Des anciens de la maison, très souvent. « J’essaie de transmettre ce que j’avais apprécié à l’époque, ce jeu vivant, debout, collectif », résume Franck Ayela, qui a lui-même joué dans les équipes de jeunes. Le quadragénaire entraîne les arrières. « Un jour, j’accompagnais mon fils pour une détection. Le club m’a vu au bord du terrain et il m’a demandé si je voulais m’occuper d’une équipe. »
Sur le terrain, toujours un « référentiel commun », pour reprendre le mot de Yoann Faure : maintenir le ballon en vie au lieu de le ralentir au sol. « Nos entraîneurs ne nous empêchent pas de tenter des choses », souligne Samy Ben Alla. Le jeune joue dans la catégorie un peu plus âgée, celle des « Crabos », les moins de 18 ans. Cet ancien de L’Isle-Jourdain (Gers) apprécie la « liberté de jeu » autant que les infrastructures. Ici, « si on veut être performant le week-end, on peut aussi venir travailler plus tôt individuellement. » Cet après-midi, avant la séance de musculation obligatoire, le bon élève a pris un sac de ballons pour exercer son jeu au pied.
A ses côtés, un coéquipier acquiesce. Théo Ntamack a déjà la voix grave : « Depuis tout petit, j’ai l’habitude de jouer comme ça. » Comme son père, Emile, ancien trois-quarts ici même. Comme son frère aîné, Romain, 19 ans : ce dernier se retrouve déjà titulaire avec l’équipe « une » de Toulouse, comme avec le XV de France. « Romain, il n’y a pas si longtemps, il jouait encore en cadets. De le voir aussi maintenant en équipe de France, ça file du peps aux gamins », reconnaît Claude Cruz, manageur des cadets.
Samy Ben Alla 17 ans Crabos au Stade Toulousain et Théo Ntamack 16 ans Crabos, fils du celebre joueur Emile Ntamack et frére de Romain Ntamack actuellement dans le XV de France. Photo: Ulrich Lebeuf / Myop pour Le Monde / ULRICH LEBEUF / MYOP POUR LE MONDE
En attente d’un nouveau titre de champion de France ou d’Europe
Cette saison, aux côtés de la recrue néo-zélandaise Jerome Kaino, au moins quinze joueurs professionnels du club viennent du centre de formation. Déjà assez pour former une équipe à eux seuls sur la pelouse du stade Ernest-Wallon, à quelques mètres de là. Parmi eux, des trois-quarts ou arrières de diverses générations (Ntamack, Ramos, Huget, Médard), capables de longues traversées. Mais aussi des avants, preuve que Toulouse forme aussi des éléments aptes aux combats en mêlée.
« Avec l’équipe première, on a parfois les mêmes commandements, les mêmes annonces, les mêmes lancements en touche qu’en Crabos ou en Espoirs, ça crée des automatismes, constate le pilier international Cyril Baille, 25 ans, au club depuis l’adolescence. Après, quand tu arrives en équipe première, au moins tu n’es pas perdu. »
L’assemblage peut parfois rencontrer moins de succès, surtout face à des adversaires bien regroupés en défense. Toulouse attend ainsi depuis quelques années déjà un nouveau titre de champion de France (depuis 2012) ou d’Europe (depuis 2010).
« Bien sûr que je crois toujours pouvoir gagner avec ce rugby-là, j’ai déjà gagné avec en tant que joueur », insiste Ugo Mola. Le technicien entraîne l’équipe « une » du Stade toulousain depuis quatre saisons et le départ de Guy Novès. Progression logique, après des crochets par Castres, Brive ou Albi : « A Toulouse, quand je jouais en cadets, on m’a demandé d’aller entraîner les mini-poussins. Quand je jouais en juniors, j’entraînais les benjamins. Puis, quand j’ai joué en première, j’entraînais les minimes. » Une certaine idée du mouvement perpétuel.