« Le Sahel a besoin d’une révolution agroécologique »
« Le Sahel a besoin d’une révolution agroécologique »
Par Ibrahima Coulibaly et Laurent Bossard
Selon le paysan Ibrahima Coulibaly et le géographe Laurent Bossard, la région doit construire son avenir sur ses ressources naturelles, humaines et culturelles, et non dans la charité internationale.
Des paysans construisent des digues pour retenir l’eau près de Diapaga, au Burkina Faso, en mars 2012. / RAPHAEL DE BENGY / AFP
Tribune. Le Sahel est malade. Les symptômes de cette maladie désormais chronique sont l’instabilité, les violences terroristes et intercommunautaires, les migrations, les trafics illicites. Face à ces exutoires se trouve une jeunesse sans emploi, dont une partie s’engage sur de mauvais chemins qui ne mènent nulle part sinon à la fracture des sociétés, à la grande peur migratoire tétanisant l’Europe, à l’embrasement du Sahel devenu menace internationale.
Si les symptômes de cette dissolution des pays sahéliens sont visibles, certaines causes structurelles sont moins apparentes. Voilà des décennies que le principal moteur du développement est délaissé : le système agricole et alimentaire, qui représente de 80 à 90 % des emplois sahéliens, se trouve embarqué dans une compétition qu’il ne peut gagner. L’alimentation, qui devrait être le levier d’une croissance durable et stable, est aujourd’hui la proie d’un marché mondial dérégulé et agressif. En 2018, les importations alimentaires de l’Afrique de l’Ouest se sont élevées à 18,5 milliards de dollars [16,1 milliards d’euros].
Ce ne sont pas les cultures d’exportation, dont le poids économique est seize fois inférieur à celui de l’économie alimentaire, qui permettront de compenser une facture qui s’alourdit chaque année. Les importations de céréales des pays de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) pourraient doubler en volume entre 2015 et 2030, de 15 à 30 millions de tonnes. Autre prévision : les pays du G5 Sahel pourraient compter près de 200 millions d’habitants en 2050, contre 84 millions en 2019. Ces chiffres ne sont que des projections statistiques. Si rien ne change, la maladie dont souffre le Sahel l’aura emporté bien avant ces échéances.
Souveraineté alimentaire
Face à cet engrenage, l’heure n’est plus à réclamer une relance des politiques publiques, mais une réorientation radicale de celles-ci. Cette réorientation repose sur trois piliers complémentaires, correspondant à trois familles d’acteurs :
- Pour les producteurs, une révolution agricole à caractère agroécologique, valorisant les identités culturelles, les savoirs et la biodiversité du Sahel.
- Pour les gouvernements et les partenaires internationaux, une révision des politiques vers la souveraineté alimentaire, c’est-à-dire le droit des peuples à définir leurs propres systèmes agricoles et alimentaires.
- Pour les consommateurs, un engagement à « consommer local ».
Il faut en d’autres termes réassembler les pièces du moteur du développement. Le Sahel doit construire son avenir sur ses ressources naturelles, humaines et culturelles, et non dans la dépendance et la charité internationale.
Les producteurs se sont engagés depuis longtemps dans l’agroécologie. C’est avec ce type de pratique nourrie des savoirs et innovations paysannes que 250 000 hectares de terres devenues incultes ont reverdi au Niger entre 1973 et 2005, avec des augmentations de rendements agricoles atteignant parfois 80 %. C’est sous l’impulsion des paysans que des dizaines de centres d’apprentissage agroécologiques ont germé dans le Sahel.
Avec les partenaires de la recherche agronomique et de nombreuses ONG africaines et internationales, le Réseau des organisations paysannes et des producteurs agricoles d’Afrique de l’Ouest (Roppa) a créé l’Alliance pour l’agroécologie en Afrique de l’Ouest (3A0). Dans le cadre de son plan stratégique 2019-2023, il lance un programme qui aidera des millions d’exploitations familiales à adopter les nouveaux principes agronomiques. Ceci permettra de se mettre en ordre de bataille pour répondre à la forte croissance et à la diversification de la demande urbaine, qui est une chance pour l’agriculture.
Des milliers de jardins maraîchers
Les producteurs entendent assumer leurs responsabilités de producteurs et, surtout, de citoyens, et peser de tout leur poids pour que les gouvernements et les consommateurs assument les leurs.
Dans les années 1970-1980, les paysans et les paysannes du Sahel ont su faire face à une succession de grandes sécheresses qui, certes, les ont affaiblis, mais qui auraient pu les anéantir s’ils n’avaient pas adapté leurs pratiques agricoles. Grâce aux femmes, des centaines de milliers de jardins maraîchers ont vu le jour et ont permis à la population de se maintenir dans les villages. Aujourd’hui, face à des périls plus grands encore parce qu’ils ne sont pas seulement naturels, les producteurs proposent une nouvelle boussole pour écrire une autre feuille de route. Ils affirment que cette feuille de route ne pourra être mise en œuvre sans les femmes et sans la jeunesse ; celle des campagnes et celle des villes, car l’alimentation est un continuum économique, social et géographique indivisible.
Dans chaque pays de la région, les paysans sahéliens font et feront valoir la nécessité de ce nouveau paradigme. Ils ont besoin de savoir si la communauté internationale les entend.
« Sahel », « emploi », « sécurité alimentaire et nutritionnelle » : des échos encourageants nous parviennent des travaux de la présidence française du G7. Pouvons-nous espérer que l’agroécologie figurera dans la déclaration du sommet de Biarritz, en août ? L’agroécologie n’est pas simplement une façon de produire ; elle est aussi un outil de reconstruction sociale et environnementale, un puissant levier pour la stabilisation et le développement. Les gouvernants et leurs partenaires doivent s’appuyer sur ce qui est déjà ancré dans l’histoire et les pratiques des Sahéliens.
Ibrahima Coulibaly, paysan malien, est président du Réseau des organisations paysannes et des producteurs agricoles d’Afrique de l’Ouest (Roppa).
Laurent Bossard est directeur du Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO/OCDE).