L’OTAN a 70 ans : une commémoration sous le signe de la discrétion et de la tension
L’OTAN a 70 ans : une commémoration sous le signe de la discrétion et de la tension
Par Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen)
L’Alliance atlantique est, depuis l’élection de Donald Trump, plongée dans un doute existentiel, en dépit de la montée des menaces géopolitiques.
Lors d’une manifestation anti-OTAN, le 30 mars à Washington. / OLIVIER DOULIERY / AFP
Il aurait, en d’autres temps, fourni l’occasion d’une belle célébration, par les chefs d’Etat, de l’unité du bloc occidental et du lien transatlantique. Le 70e anniversaire du traité de l’Atlantique nord, signé le 4 avril 1979 à Washington, sera plutôt commémoré en mode mineur, dans la capitale américaine, mercredi 3 et jeudi 4 avril. Ce sont les ministres des affaires étrangères qui s’efforceront d’afficher l’unité des désormais 29 alliés – ils étaient 12 au départ – et d’affirmer que l’OTAN est prête pour affronter les nouveaux défis sécuritaires.
L’Alliance est, depuis l’élection de Donald Trump, plongée dans un doute existentiel : le candidat qui l’avait jugée « obsolète » et trop coûteuse, qui a évoqué un éventuel retrait de son pays et exigé des Européens qu’ils paient « le loyer » pour la protection que leur offre les Etats-Unis a, certes, revu la plupart de ses considérations. Il n’évoque plus, par ailleurs, une possible remise en cause de la clause de solidarité (prévue par l’article 5 du traité) qui énonce qu’une attaque contre un membre serait une attaque contre tous. Elle avait été activée après le 11 septembre 2001 au profit… des Etats-Unis.
Ce relatif apaisement ne masque pas, cependant, les questions importantes qu’affronte, et que devra affronter, l’Alliance atlantique dans un avenir proche.
Le « partage du fardeau »
Le burden sharing est devenu, depuis l’élection de M. Trump, le sujet de toutes les réunions à l’OTAN. Le président, qui s’était dit convaincu que son pays n’avait pas à payer pour la défense des Européens, a calmé son propos de juillet 2018, lors d’un sommet mémorable à Bruxelles. A l’époque, suggérant dans une envolée que les partenaires des Etats-Unis consacrent jusqu’à 4 % de leur budget à la défense, il s’en prenait aux « 23 pays qui ne paient toujours pas leur dû », ce qui, ajoutait-il, « n’est pas juste pour les citoyens et les contribuables des Etats-Unis ». L’addition, c’est « maintenant et non dans dix ans », menaçait-il.
En avril 2019, son administration maintient, avec fermeté, un objectif de 2 % en 2024. Le Royaume-Uni y est quasiment, la France l’atteindra en 2025, l’Allemagne en restera à 1,5 %, malgré la multiplication des pressions et des menaces de Washington. Beaucoup d’Européens estiment que le but des Etats-Unis est surtout de les obliger à acheter du matériel américain.
Lors d’un exercice de l’OTAN en Pologne, en 2017. / AP
Les 2 % ne sont d’ailleurs pas une obligation ou un engagement juridique à l’OTAN. Mais une promesse, un objectif consensuel que chacun serait censé atteindre. Le secrétaire général de l’OTAN, le Norvégien Jens Stoltenberg, souligne que les dépenses supplémentaires des membres ont déjà atteint 100 milliards de dollars (90 milliards d’euros), mais il incite Berlin à aller au-delà de son effort actuel.
M. Stoltenberg, qui rencontrait M. Trump mardi et devait être auditionné par le Congrès mercredi, est apparemment parvenu, en agitant cet autre chiffre fétiche, à calmer le discours anti-OTAN, même si les principaux soutiens de l’organisation, Jim Mattis et Rex Tillerson, ex-secrétaires à la défense et ex-secrétaire d’Etat, ont abandonné leur poste, laissant John Bolton, adversaire du multilatéralisme, à la manœuvre à la Maison Blanche. Où l’on évoque toutefois désormais « les succès sans précédent » de l’Alliance atlantique…
La Russie
L’annexion de la Crimée, le déploiement de missiles capables d’atteindre des villes allemandes ou la rhétorique de Vladimir Poutine contribuent évidemment à la cohésion de l’Alliance, forcée de taire ses divisions face à la « menace » de Moscou. L’organisation a renforcé sa présence dans les Etats baltes et en Pologne, et affirme vouloir désormais se préparer à « un monde sans FNI », à savoir sans le traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire. Signé en 1987, ce texte visait à réduire le risque de confrontation. Il a été suspendu successivement par Washington et Moscou et, faute d’un éventuel accord, il pourrait être définitivement enterré cet été.
« Nous allons regarder comment faire davantage en mer Noire, faire plus de surveillance, il y aura plus de navires de pays de l’OTAN dans cette zone », prévient, de son côté, l’ambassadrice américaine auprès de l’Alliance, Kay Bailey Hutchison.
La lutte contre le terrorisme
Donald Trump a exigé que l’Alliance fasse de « la lutte contre le terrorisme » l’une de ses priorités. Cela concerne à la fois l’Irak, où une mission non combattante de l’OTAN vise à la formation de l’armée, pour éviter, notamment une résurgence de l’organisation Etat islamique. La situation est plus complexe encore en Aghanistan, où l’Alliance est présente depuis dix-sept années. Le discours officiel reste que « des progrès » sont enregistrés dans le pays, mais la question de la présence militaire est posée. Avec l’espoir – faible – qu’une « solution politique globale » découle des pourparlers commencés entre le régime et les talibans. L’Allemagne se dit prête à accueillir une nouvelle conférence, mais « on est encore loin du compte », convient sa diplomatie.
La Chine
Pékin, transformée récemment en « rival stratégique » par l’Union européenne, est-elle aussi un rival sécuritaire ? L’OTAN, qui n’aime pas les débats à trop forte portée politique, doit-elle se soucier du rôle de la Chine, qui investit dans des infrastructures – les ports, par exemple – qui pourraient demain entraver la mobilité militaire ? Doit-elle évoquer le rôle de Huawei, qui pourrait favoriser l’espionnage et menacer, demain la sécurité des communications au sein de l’organisation ? Comment analyser certaines manœuvres navales conjointes de l’armée chinoise avec la Russie ? M. Stoltenberg n’a pas voulu mentionner le dossier chinois lors de sa conférence de presse de presse avant la réunion de Washington.
Militaires et diplomates américains estiment, en revanche, qu’une discussion stratégique doit s’ébaucher pour dégager une réponse commune face à Pékin. Et, à la mi-mars, le général américain Curtis Scaparotti, le commandant suprême des forces alliées en Europe, prévenait fermement Berlin : si l’Allemagne s’associe avec Huawei pour le réseau 5G, les forces de l’OTAN cesseraient de communiquer avec leurs collègues de la Bundeswehr.
Des soldats belges déployés en Estonie dans le cadre d’un exercice de l’OTAN, en avril. / INTS KALNINS / REUTERS
Les valeurs
C’est le grand sujet escamoté par une organisation qui s’est accommodée naguère des dictatures espagnole, grecque ou portugaise et qui ne parle pas des dérives autoritaires de certains de ses membres à l’est, ou de la Turquie, son deuxième contributeur. Certains pays estiment que le discours de Donald Trump, qui a, en quelque sorte, légitimé ces dérives, rend nécessaire une réflexion de fond. Il est peu probable qu’elle ait lieu.
Si Washingon a, cette semaine, durci le ton contre Ankara, c’est seulement pour forcer les dirigeants turcs à choisir entre le système antimissiles russe S-400, qu’ils sont prêts à acquérir, et les avions de chasse américains F-35, qui devaient leur être livrés à bref délai. Si l’administration américaine a suspendu la livraison des équipements pour les avions de chasse, c’est, estime-t-elle, parce que le dispositif russe de défense antimissiles et antiaérienne n’est pas compatible avec les équipements de l’OTAN.