« Trop c’est trop ! » : après le massacre d’Ogossagou, des milliers de Maliens manifestent à Bamako
« Trop c’est trop ! » : après le massacre d’Ogossagou, des milliers de Maliens manifestent à Bamako
Par Morgane Le Cam (Bamako, correspondance)
Plus de 10 000 personnes se sont rassemblées dans la capitale malienne, vendredi, pour protester contre la gestion du pays par les autorités.
A Bamako, le 5 avril. / STRINGER / REUTERS
« Ogossagou, plus jamais ! », « Trop c’est trop ! », scande Mamadou Diakité, en remontant le boulevard de l’Indépendance de Bamako. Deux semaines après le massacre de ce village peuhl, au centre du Mali, M. Diakité souffre encore. « C’est un choc. Imaginez près de 200 morts, des femmes enceintes et des enfants éventrés. Il n’y a même pas de qualificatif pour ça. On n’a jamais vu cela dans notre pays », dit-il, alarmé.
Comme ce Malien en colère, plus de 10 000 citoyens ont répondu à l’appel des très influents religieux musulmans Mahmoud Dicko et Bouyé Haïdara, vendredi 5 avril. Autour du président du Haut Conseil islamique du Mali (HCIM) et du chérif de Nioro-du-Sahel, la diversité des messages inscrits sur les panneaux témoignait d’un ras-le-bol généralisé dépassant le cadre sécuritaire. « Barkhane et Minusma allez-vous en de chez nous », « les enseignants, les médecins et les cheminots en grève, mais IBK s’en fout », « 0 sécurité », « IBK dégage », pouvait-on lire au-dessus des milliers de bras tendus.
« Nous voulons que les tueries s’arrêtent »
« Aujourd’hui, le régime du président Ibrahim Boubacar Keïta [IBK] est décrié. […] Son gouvernement est incapable de résoudre les problèmes sécuritaires et sociaux. Il n’y a pas d’emploi, mais du chômage et de l’insécurité », a dénoncé Issa Kaou N’Djim, le porte-parole de l’imam Mahmoud Dicko, sur la place de l’Indépendance.
En marge de l’immense foule, Fatim Diarra dit avoir le cœur éclaté. « Avant, le Mali était bien, tolérant ! Maintenant tout le monde meurt. Nous voulons que les tueries s’arrêtent », dit-elle, en pleurant. Ces trois derniers mois, près de 150 militaires et 440 civils ont été tués au Mali, selon le ministère de la sécurité. Pour cette infirmière, le massacre d’Ogossagou, le 23 mars, a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. « Trop c’est trop ! », crie un autre manifestant, en colère, derrière elle.
Ce slogan a déjà été scandé dans les rues bamakoises. C’était même le mot d’ordre de l’immense manifestation contre la révision constitutionnelle, qui avait fait reculer les autorités sur ce projet, en juillet 2017. Près de deux ans plus tard, le même pouvoir incarné par le président « IBK », réélu en août 2018, continue d’être pointé du doigt par les leaders musulmans. Mais aussi par une partie de l’opposition, présente à cette manifestation au côté de nombreuses organisations de la société civile et de syndicalistes.
A Bamako, le 5 avril. / MICHELE CATTANI / AFP
« Qui sont les coupables ? Qui sont les auteurs ? Quelle politique nous a menés à cela ? C’est la politique d’“IBK”. Si tout le peuple sort et qu’“IBK” est démocrate, ne doit-il pas se poser la question de sa légitimité ? », s’interroge Issa Kaou N’Djim. Le HCIM, qui chapeaute des millions de fidèles dans un pays ou plus de 95 % de la population est musulmane n’en est pas à sa première contestation du pouvoir d’“IBK”. La dernière date du 10 février. A la suite de l’assassinat d’un imam à Bamako, le HCIM avait rassemblé des dizaines de milliers de sympathisants dans un des stades de la capitale. Ils réclamaient la démission du premier ministre, Soumeylou Boubèye Maïga.
« Ce gouvernement doit partir et il partira »
Ce 5 avril, c’est le départ de tout le régime que réclament les manifestants. Mais aussi, celui des forces militaires internationales présentes dans le pays. « Tout un village a été exterminé à Ogossagou et pourtant il y a des dizaines de milliers de forces étrangères dans notre pays et personne n’a rien fait. La communauté internationale est incapable de protéger les civils. Si elle n’est pas en mesure de nous sécuriser, qu’elle dégage ! », s’indigne Mamadou Dansogo, un commerçant, dans la manifestation. Autour de lui, une dizaine de Maliens applaudissent en scandant des slogans demandant le départ de la France et de ses militaires. « La France est un pays ami, tempère Issa Kaou N’Djim. Mais la France ne doit pas soutenir un gouvernement corrompu et illégitime. »
Vendredi 5 avril, ces leaders religieux et une partie de l’opposition semblent avoir formé une nouvelle coalition informelle, bien déterminée à maintenir la pression. Les leaders religieux comptent manifester à nouveau vendredi prochain si les autorités ne se retirent pas du pouvoir. « Ce gouvernement doit partir et il partira », a assuré Issa Kaou N’Djim. Acculées sur le plan sécuritaire, les autorités maliennes doivent aussi gérer un front social de plus en plus bouillant, et ce, dans un contexte politique loin de l’apaisement. Le Mali se situe pourtant à l’aube de réformes majeures. Une révision constitutionnelle, une réforme territoriale et des élections législatives doivent avoir lieu dans les mois qui viennent. D’autre part, les cheminots, les magistrats et les enseignants grévistes, qui ont multiplié les mouvements ces derniers mois, se sont quant à eux vu promettre de voir leurs doléances examinées lors d’une grande conférence nationale.
« Nous sommes dans la rue car nous avons trop enduré. Nous pensions que nos dirigeants allaient se lever pour faire quelque chose, mais ils ne font rien. Donc nous devons sortir pour leur dire que trop c’est trop », explique Ousmane Diakité, au milieu de la foule rassemblée pacifiquement place de l’Indépendance. Mais vers 17 heures, des heurts ont éclaté à plusieurs centaines de mètres de là. Des pierres, des pneus brûlés et des gaz lacrymogènes ont été lancés.