Des membres de l’Armée nationale libyenne (ANL), commandée par Khalifa Haftar, quittent Benghazi pour renforcer les troupes avançant vers Tripoli, le 7 avril 2019. / ESAM OMRAN AL-FETORI / REUTERS

De violents combats ont repris en Libye, dimanche 7 avril, opposant, d’un côté, les forces loyales du Gouvernement d’union nationale (GNA), reconnu par la communauté internationale et dirigé par Faïez Sarraj, basé dans la capitale, Tripoli, et de l’autre, les forces du maréchal Khalifa Haftar, l’Armée nationale libyenne (ANL).

L’armée du maréchal Haftar, l’homme fort de l’Est libyen, engagée dans une offensive vers Tripoli depuis jeudi, a affirmé avoir mené dimanche son premier raid aérien en banlieue même de la capitale. Dans le camp adverse, le GNA, par la voix de son porte-parole, le colonel Mohamad Gnounou, a annoncé le début d’une « contre-offensive » généralisée – nommée « volcan de la colère » –, pour « purger toutes les villes libyennes » des « forces illégitimes », en référence au camp Haftar.

Ces proclamations, faites à la mi-journée, interviennent alors que de violents combats ont été rapportés en matinée à une cinquantaine de kilomètres au sud de Tripoli, laissant entrevoir une poursuite de l’escalade, à rebours des appels de l’ONU et de la communauté internationale à un apaisement. La mission d’assistance de l’ONU en Libye (Manul) a lancé un « appel urgent » à une « trêve humanitaire » de deux heures dimanche après-midi dans la banlieue sud de Tripoli pour permettre l’évacuation des blessés et des civils.

Depuis la chute, en 2011, du régime Kadhafi, la Libye est plongée dans le chaos avec la présence de nombreuses milices en plus des deux autorités rivales qui se disputent le pouvoir : le GNA dans l’ouest du pays, et l’ANL qui contrôle l’Est et une grande partie du Sud.

« Perspective d’une guerre prolongée »

Jeudi, Khalifa Haftar a déclaré la guerre à ses rivaux de l’Ouest en lançant un assaut sur la capitale, siège du GNA. Le maréchal Haftar a clairement tablé sur une victoire rapide « sans combats » en nouant des alliances avec des factions de la Tripolitaine (région ouest) et en comptant sur un effondrement rapide des groupes armés pro-GNA. Son porte-parole, Ahmed Mesmari, a indiqué samedi que la prise de Tripoli ne saurait tarder.

De premiers combats significatifs ont éclaté vendredi entre les deux camps à une cinquantaine de kilomètres au sud de Tripoli. Ils se sont poursuivis samedi notamment dans les régions de Wadi Al-Rabii et Gasr Ben Ghechir. Par ailleurs, les forces pro-GNA ont mené samedi pour la première fois au moins un raid aérien contre une position de l’ANL dans la région d’Al-Aziziya, à une cinquantaine de kilomètres au sud de la capitale. Dénonçant les raids, M. Mesmari a promis une riposte, tout en affirmant que l’offensive se déroulait « comme prévu ».

L’ANL semble surprise par la mobilisation de forces qui lui sont plus ou moins hostiles

Mais l’ANL semble surprise par la mobilisation de forces qui lui sont plus ou moins hostiles, en particulier les puissantes milices de Misrata (200 km à l’est de Tripoli) qui avaient chassé en 2016 le groupe Etat islamique de Syrte. Les Misratis, qui étaient réticents à s’engager dans les combats, semblent avoir décidé de participer à « la défense de la capitale », de même pour des groupes de Zentan et Zawiya.

Au moins un important groupe armé de Misrata, « la brigade 166 », est arrivé samedi dans l’est de la capitale avec des dizaines de véhicules armés notamment de canons antiaériens, pour participer à la contre-offensive, a constaté un correspondant de l’Agence France-Presse (AFP). La Force de protection de Tripoli, une alliance de milices pro-GNA, a confirmé sur sa page Facebook l’arrivée de renforts de Misrata. Dans un discours samedi soir, le chef du GNA, Fayez Sarraj, a mis en garde contre la perspective d’une « guerre sans gagnant ». Il a confirmé que des soutiens continuaient d’« affluer dans la capitale, de toutes les régions », pour faire face à l’offensive de l’ANL.

De son côté, le maréchal Haftar continue d’afficher sa confiance dans l’issue des combats. Selon son bureau média, il a présidé une réunion samedi avec le gouvernement parallèle basé dans l’est pour discuter du « plan de sécurisation de Tripoli et de la région ouest après la fin des opérations militaires ».

Des analystes estiment toutefois que l’offensive pourrait s’éterniser, voire échouer. « L’opération de Haftar (…) a galvanisé les forces libyennes de l’ouest contre lui », affirme à l’AFP Wolfram Lacher, chercheur à l’Institut allemand de politique internationale et de sécurité. Haftar « est maintenant confronté à la perspective d’une guerre prolongée », et à l’hypothèse d’une défaite, ajoute-t-il.

« Saper le processus démocratique »

Cette nouvelle escalade de violences intervient avant une Conférence nationale, sous l’égide de l’ONU, prévue mi-avril à Ghadamès (sud-ouest), censée dresser une « feuille de route » avec la tenue d’élections. L’émissaire de l’ONU pour la Libye, Ghassan Salamé, a assuré lors d’une conférence de presse à Tripoli que cette conférence était maintenue « à la date prévue », du 14 au 16 avril, sauf en cas de « circonstances majeures ».

M. Sarraj a estimé samedi soir que cette conférence était une piste « vers un Etat stable et pour construire un Etat civil et démocratique ». Il a accusé le maréchal Haftar d’être « animé par ses intérêts personnels » et d’œuvrer à « saper le processus politique » pour « plonger le pays dans un cycle de violence et de guerre destructrice ». Rappelant les arrangements trouvés avec M. Haftar lors de leurs dernières rencontres, le premier ministre du GNA a estimé que son rival avait « trahi l’accord » et « tenté de le poignarder dans le dos ».

Les deux hommes se sont rencontrés à plusieurs reprises ces dernières années. Lors de leur dernière réunion fin février à Abou Dhabi, ils avaient conclu un accord en vue notamment de former un gouvernement unifié et portant sur l’organisation d’élections avant la fin de l’année. Une des premières rencontres s’était tenue à Paris en juillet 2017 à l’initiative du président Emmanuel Macron, dont le pays est accusé par les anti-ANL de soutenir le maréchal.

M. Macron s’est entretenu samedi soir par téléphone avec le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, et a renouvelé son soutien à la médiation de l’ONU en Libye, a indiqué l’Elysée. M. Guterres, dont la visite en Libye cette semaine a coïncidé avec le lancement de l’offensive de l’ANL, a dit quitter le pays « avec une profonde inquiétude et un cœur lourd », après avoir rencontré M. Sarraj à Tripoli puis le maréchal Haftar à Benghazi.

Libye : Macron annonce un accord "historique" sur de prochaines élections
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